Investiture présidentielle de Donald Trump (II)
Trump va-t-il s’assagir dès qu’il aura passé les portes de la Maison blanche ? Il faut l’espérer, ou le craindre, si l'on est de ceux, nombreux dans son électorat, qui ont fait vœu de scepticisme et ne parviennent pas tout à fait à prendre au sérieux les hommes politiques en général et Donald Trump en particulier. Lors des premières tractations pour la formation de son administration Trump parait déjà avoir mis en berne son exubérante houppe de cheveux jaunâtres qui lui servait d’étendard ! Va-t-il se renier ? Probablement pas, et la question est de savoir jusqu'où ira sa révolution conservatrice.
Le camp Clinton a fait l'erreur de prendre Trump, son allure et ses bons mots, au premier degré, de le
sous-estimer, de le croire plus bête qu’il n’avait l’air, tombant en plein
dans le panneau tendu. La condescendance et le mépris pour les bas du front
imbéciles et obtus est le trait commun de la caste politico-médiatique, de la
jet-set artistique et des seigneurs de la finance et de l’industrie, que ce
soit aux États-Unis, en Grande Bretagne ou en France.
Il y a un
impensé symbolique à la chevelure de Trump, par son volume, sa forme et sa
couleur, par les références subliminales qu’elles mettent en branle. Rien d’oiseux
et de vain là-dedans, ceci est très sérieux. Il est des empires qui
s’effondrent par les caractéristiques d’un nez. Il est des élections qui se
gagnent, et des révolutions qui se mettent en branle, par le fait d’une coupe
de cheveux. Du reste que serait Churchill sans son obésité et ses cigares,
Hitler sans sa ridicule petite moustache et sa mèche noire, ou de Gaulle avec
ce corps trop grand dont il ne savait que faire. Telle est la puissance des
images sur celle des phrases, et la force des symboles sur les mots, que ce
soit au marbre des statues antiques, aux actualités filmées des salles de
projection cinématographique ou aux écrans modernes des médias audiovisuels, à
l’heure où l’image a supplanté l’écrit et l’écran se substitue au livre.
Trump a fait de
son panache blond un étendard, un signe de reconnaissance, un mode de
ralliement. Tout comme Obama a fait de sa démarche de basketteur, cool et élastique, typique de la culture noire, le basket étant par excellence le sport des
noirs américains, et ses sermons iréniques de prêcheur baptiste,
à la manière de Martin Luther King, les signes de reconnaissance de sa propre
présidence. Cette décontraction si américaine et ses discours en forme de
prêches religieux ont valu à Barak Obama sa facile élection, et son prix Nobel
anachronique, mais soulignent, a contrario, la faiblesse de ses deux mandats,
le peu de réalisations à son actif et la déception relative de ses électeurs,
comme si le tribun avait annihilé l'homme d'action.
Stigmate de la blondeur et récupération de
l’indignité
Il sera
difficile à celui qui ne l’a pas vécu personnellement de croire qu’il y a une
indignité à être blond aujourd’hui. Pourtant quand Jean-Luc Mélenchon déclare "qu'il ne peut pas survivre là où il n'y a que des blonds aux yeux bleus", il traduit la gêne que suscite la
blondeur. Imaginons qu’il eût parlé de noirs ou de bruns aux yeux foncés de
type latin, et c’était le scandale assuré. Le blond, dans l’imaginaire
collectif, est l’équivalent du nazi, du toqué, du réprouvé ou de la grande
folle. Il suffit de voir ce que l’on fait jouer aux blonds au cinéma depuis une
quarantaine d’années: des rôles d’Allemands (Fiennes, Law), de collaborateurs
de ces Allemands (Marchetti, le policier des RG, dans la série Un Village français), de doux dingues
(Peter O’Toole, Pierre Richard ou Brice de Nice), de tueurs en série (Dexter dans la série éponyme),
d’assassins ou de malades mentaux (Klaus Kinsky).
Il y a une
anomalie à la blondeur, une improbabilité, parce que le nombre de blonds est
plutôt faible dans le monde (10 % de la population en Europe occidentale) et
que la blondeur s’efface avec l’âge. Une anomalie remarquablement traduite par
David Bowie dans son rôle d’officier britannique prisonnier des Japonais dans le
film Furio.
Pour prendre la
mesure du changement radical qui s’est opéré dans notre imaginaire, il faut se
souvenir que quand la blondeur était valorisée, les grands rôles du cinéma,
ceux de jeunes premiers (Jean Gabin et Jean Marais) ou de héros romantiques
(Gary Cooper ou James Dean) ou de chanteurs de charme (Charles Trenet et ce
personnage très étonnant, juif d’Algérie, appelé Blond-Blond parce qu’il était
albinos) étaient pris par des blonds aux yeux bleus. Tout ceci a changé en 1945
en Europe où la blondeur est devenue synonyme d’aryanisme et de persécutions,
avec la découverte des monstruosités que les préjugés ethnico-raciaux du
nazisme (inverses des nôtres) avaient engendrées et plus tard aux États-Unis
sous l’effet du mouvement des droits civiques et des politiques d’affirmative
action puis du droit-de-l’hommisme et de l’humanitarisme quand le blond s’est
vu peu à peu assimilé à l’éternel méchant -colonialiste, esclavagiste,
génocidaire- de l’Histoire.
Pour les femmes,
l’indignité d’être blonde n’est pas moins grande : idiote, pétasse et putasse,
la blondasse réunit tous les stéréotypes. Les « histoires de blonde » qui nous
semblent aller de soi sont récentes. Il n’y a pas cinquante ans, la blondeur était
synonyme de pureté et d’innocence, voire de sainteté (Michèle Morgan, Romy
Schneider), de sagacité (Brigitte Bardot, Mireille Darc) et de fidélité ou de
bonté (Simone Signoret dans Casque d’Or) et même aux États-Unis, avant Jayne
Mansfield et surtout Marilyn Monroe, quand on pense aux personnages sages,
calculateurs ou froids interprétés par Greta Garbo, Ingrid Bergman et Grace Kelly. Et chaque fois que je chante l'air du catalogue dans Don Giovanni, je ne manque pas de m'étonner que ce soit la gentillesse de la blonde que ce cher Wolfgang, ou Da Ponte, eussent a louer. Plus rien à voir avec les Nicole Kidman, Sharon Stone et
Britney Spears de notre imaginaire contemporain !
Une chevelure improbable : ampleur,
couleur et forme
La chevelure
improbable de Donald Trump, duveteuse et vaporeuse, apparemment naturelle mais faite
pour instiller des doutes sur son authenticité, d’autant que jaunâtre, tirant
sur l’orange, le jaune et le gris platine, aura été l’un de ces leurres lancer
par Trump pour tromper l’adversaire. Chevelure d’autant impensable que passé la
trentaine Trump était châtain, et qu’il n’a acquis cette couleur bigarrée qu’à
l’orée des années 2000, quand elle a pris du volume et les tons fauves et
léonins d’une crinière de vieux lion, à partir du moment où il a commencé son
émission de téléréalité [1]. Coiffure à l’antique, comme un casque de cheveux
au marbre des statues avec une mèche dont on ne sait où elle prend racine mais
qui s’étend à l’aplomb du visage pour masquer la calvitie du front, assez peu
marquée pour un homme de cet âge, et sur l’arrière pour dissimuler celle au
sommet du crâne.
La chevelure de
Trump, par son ampleur, est la crinière de Samson ou du vieux lion, symbole de
force et de fécondité, surtout quand le patriarche réunit sa nombreuse famille
recomposée autours de lui. Il incarne une masculinité assumée, y compris
graveleuse, à un moment où le féminisme à vocation matriarcale, agressif et
niveleur, est sur la sellette, et cela parle aux classes populaires.
La blondeur plus
ou moins factice des cheveux du Président élu est le plumet de l’aryanité (ou
de l’anglo-saxonité pour rester correct) dont certains de ses partisans se
revendiquent assez ouvertement (voir l'article du New York Times sur le mouvement Alt-right dont Breitbart News, la plateforme media, avait pour
directeur Stephen K. Bannon, le nouveau conseiller à la stratégie du Président
Trump), sauf que les idiots utiles de l’antiracisme idéologique en faisant
sonner les trompettes de l’indignation n’auront pas compris de quoi il en
retourne. Ce n’est pas la référence ethnique et le retour à une Amérique blanche
fantasmée qui est en jeu mais la référence à une idée de l’Amérique incarnée
par ses fondateurs anglo-saxons. Et de la part des électeurs de Trump, dont un
assez grand nombre de latinos et de noirs tout de même, ou de blancs qui n’ont
rien des traits physiques des Pères fondateurs anglais et pas l’ombre d’un
sentiment raciste, il s’agit bien d’un processus d’adhésion sans identification
à ce que Trump représente ou personnifie -j’y reviens plus loin.
La coiffure, par
sa forme, ressemble à un casque de cheveux (le spray fixant qu’il utilise se
nommerait même Helmet Head). C’est le
panache du guerrier à l’antique. L’image se réfère aux grands personnages de
l’antiquité gréco-latine. Sans aller jusqu’à comparer Trump au David de
Michel-Ange, comme un article récent du Point le suggère -les différences de beauté et
d’âge sont tout de même considérable- la référence est bien là: à défaut du
port de tête grec ou du profil romain c’est bien au marbre des statues auquel la
figure de Trump nous ramène, référence civilisationnelle évoquant le courage du
combattant hébreu ou grec, le sage athénien et le patricien romain. Et il n’est
jusqu’à la démagogie du tribun qui ne trouvât ses références chez Platon, le
démagogue étant le propre du régime démocratique.
Trump, personnalisation clownesque de
l’Amérique
Tel un clown
joyeux, farceur et imprévisible, Trump a charmé toute une moitié de l’Amérique
qui aime les personnages grotesques et ridicules, et choqué l’autre, l’Amérique
qui se prend au sérieux, plus digne, plus coincée, plus rabat-joie, l’Amérique
d’Hillary Clinton, raide et pisse-froid. On ne comprend rien au phénomène Trump
si l’on feint d’ignorer que la dérision, l’autodérision et le rire à gorge
déployée sont au cœur de l’identité nationale américaine, dans la littérature,
chez Mark Twain et surtout dans le cinéma ou au music-hall. Trump rappelle les personnages burlesques familiers de l’imaginaire étatsunien, les Buster Keaton, Laurel et Hardy, Charlie Chaplin et Marx Brother, et même Samy
Davis Jr. Trump est un menteur et un tricheur assumé, tout comme les Clinton
sont des menteurs, ou Obama, mais d’une autre façon, plus
hypocrite et plus fausse, les premiers comme avocats et le second avec sa
faconde de prêcheur, la main sur son cœur, des mots sucrés plein la
bouche.
Trump a fait de
ses cheveux flamboyant et trop voyant un produit marketing. C’est l’avantage de
certains blonds quand ils vieillissent, sur ceux qui ont la malchance relative
d’être foncés : les cheveux gris et blanc se confondent avec le doré. Ils n’ont
pas besoin de se teindre la chevelure comme un François Hollande, façon bourreau des cœurs d’actrices et de
journalistes. D’un ridicule assumé et volontairement poussé Trump a fait de ses
cheveux un signe de reconnaissance et même un signe de fierté, pour lui et ses
soutiens, une bouffonnerie ou un stigmate que l’on brandit pour compter ses
partisans. Dans la société du spectacle, dans le grand barnum des élections, il
faut se faire remarquer, tout azimut, quelques soient les moyens, par le choc
des mots, même les plus indécents et grossiers, et la puissance évocatrice des
images, même les plus grotesques et outrées.
Trump manie les
unes et les autres à la perfection et l’on est un peu peiné de la naïveté de ses
adversaires, qui lui ont si souvent servi la soupe soit en s’indignant de ses
bons mots pas bien élégants dont il a émaillé sa campagne soit en se moquant de
son allure de bouffon. C’était le but recherché. Ils ont ainsi participé au
processus, non d’identification, mais d’adhésion au candidat Trump, à son
programme et son slogan de campagne -Make
America great again- et à ce qu’il personnifie, cet impensé symbolique
résumé par ses cheveux, pour ses futurs électeurs qui ne s’identifient pas
physiquement avec le candidat, ou avec son style de vie, ou avec sa gouaille et
ses outrances, mais qui se reconnaissent dans ses idées, dans son programme, et
de ce qu’il dit de l’Amérique, sans pour autant lui faire un chèque en blanc,
si l’on peut oser ce jeu de mots. Les électeurs de Trump, comme ceux de Marine
Le Pen, sont plus malins que ce que la classe médiatique imagine. Ce sont des
sceptiques en politique. Ils ne prennent jamais tout à fait au sérieux ceux qui
sont chargés de les représenter.
Adhésion sans identification,
personnification sans incarnation
C’est toute la
différence entre le processus d’identification avec quelqu’un qui nous
ressemble et une simple démarche de reconnaissance ou d’adhésion de type ethnico-culturelle
à des idées et à un programme, et à celui qui le personnifie, auquel on n’est
pas obligé de ressembler. Il faut insister à ce niveau sur trois erreurs ou
confusions souvent faites de ce côté de l’Atlantique :
- L’éthos
étatsunien, l’identité nationale de l’Américain s’est construite sur le modèle
du WASP (White Anglo-Saxon Protestants), depuis les Quakers du May Flower
jusqu’au Président prêtant serment sur la Bible. Mais ce modèle ne tient pas à
l’appartenance ethnique, raciale et même religieuse des habitants mais à
l’adhésion aux valeurs historiques de l’Amérique incarnées par le WASP : la
famille, le puritanisme, la Bible hébraïque et chrétienne, les institutions
républicaines, l’éducation, la réussite par le travail et l’argent, et
l’anglais comme langue commune. C’est ainsi (si l’on veut bien pardonner
l’oxymore), que les plus Wasp des catholiques, les Kennedy, une famille
patricienne de la Nouvelle Angleterre, ou le plus Wasp des noirs, Barak Obama,
passé par le formatage de Yale et du Congrès, ou les plus Wasps des juifs – de
Barry Goldwater à Henry Kissinger et Bernie Sanders- ont accédé ou ont failli
accédé aux plus hautes fonctions du pays. C’est l’adhésion des Kennedy ou d’Obama
aux valeurs du WASP qui leur ont ouvert les portes de la Maison blanche.
- Il nous
paraît étonnant, et révoltant, à nous autres Européens que des prolétaires et des
déclassés puissent voir en un milliardaire sans morale et sans scrupules la
réponse à leurs problèmes, un patron dont les méthodes avec ses salariés ou
avec le fisc sont celles d’un truand de haut vol. Bienvenue dans le monde des
barons-voleurs… C’est le mystère de la personnification sans incarnation qui
tient pour les États-Unis à deux valeurs de l’éthique protestante toujours présentes :
l’homme seul et héroïque face aux pouvoirs et à l’establishment, et la réussite
professionnelle en tant que signe d’élection et de distinction, peu importe la
forme et la manière. Notre vision européenne du WASP est trop celle du grand bourgeois
d’affaires dont le cinéma ou la littérature, dans Bret Easton Ellis, a donné
une vision trouble qui fausse notre jugement. L’éthique du WASP se retrouve
chez l’ouvrier du Michigan ou le travailleur social du Wisconsin, chez le
fermier du Kentucky et le retraité de Floride, chez les juifs et les
catholiques, et même chez les musulmans. Il faut du reste faire justice à Max
Weber : l’occidentalisation du monde ne fait que traduire l’universalisation
de l’éthique du protestantisme et de l’esprit du capitalisme.
- Les
États-Unis ont une tradition assimilationniste, comme jadis la France, mais avec
des moyens différents, par la contrainte et la violence, comme on le voit
illustré dans le film Gangs of New-York
ou par ces symboles de basse intensité qui forment un everyday nationalism -The Star and Stripes, The Pledge of Allegiance, les Primaires,
Thanksgiving, le Superbowl- et par le pouvoir d’adhésion aux valeurs messianiques
nationales. Ce n’est que depuis les années 60 que le multiculturalisme l’emporte
sur le modèle assimilatoire. Les États-Unis, pays multiracial, était unifié
culturellement, les amérindiens, les asiatiques et les mêmes les noirs ayant
repris à leurs compte la culture religieuse, les modes de vie et les codes
professionnels ou vestimentaires du WASP. Ce que le terme même
de melting-pot, qu’il faut traduire
par creuset (pour la fusion des métaux) désigne.
Aujourd’hui le melting-pot est remplacé par le salad-bowl : la population organisée en
communautés ne se mélange plus; les latinos parlent espagnols et s’organisent
en société séparée, les noirs retournent à la culture des marges, les musulmans
suivent le Coran et non la Bible, les femmes et les homosexuels ont leur propre
agenda en matière de mœurs et de procréation et il n’est jusqu’aux blancs
défavorisés -les White Trash- qui se voient assignés à s’organiser
communautairement depuis qu’ils se retrouvent les grands sacrifiés de la
globalisation et des politiques d’affirmative action.
Le Président WASP
Comme de bien
entendu les commentateurs autorisés ont remplacé les bêtises d’avant élections
par des inepties d’après élections, comme de dire que Trump est le Président
des petits blancs (sous-entendu les bas du front racistes, peu éduqués et
marginalisés), et d’expliquer la montée des populismes par la peur et la
colère, et la révolte des peuples contre les élites (à l’instar du Brexit ou la
montée inéluctable de Marine Le Pen). Il y a du vrai bien sûr là-dedans mais le
propos est trop court, il manque de profondeur, ignorant la puissance irrésistible
de la lame de fond, expliquant le comment mais jamais le pourquoi de la montée
des populismes.
Les WASP -blancs,
protestants et anglo-saxons- sont l’essence de l’Amérique, dans un pays obsédé
par la différence raciale et par la question des origines, jusqu'à un degré
pathologique (dans la querelle évolutionnisme-créationnisme ou sur la question jamais
refermée « des premières nations », asiatique ou européenne, qui
auraient découvert en premier le continent, et des droits prioritaires qu'ils auraient ainsi acquis). Les descendants des Pilgrims Fathers ont créé et
développé ce pays, massacrant, au passage, les peuples amérindiens qui
l’occupait précédemment, mettant en place un des pires systèmes esclavagistes
qui se puisse imaginer et spoliant les hispaniques des territoires au sud
qu’ils avaient conquis, pour en faire une grande démocratie et le pays le
plus puissant qui n’ait jamais été. Ils peuvent se sentir fier,
malgré tout, de l'ouvrage accompli (les États-Unis ont créé, avec la
Grande-Bretagne, les fondements de la démocratie libérale) et très en colère
contre ceux qui veulent le détruire, ou qui s’organisent pour le dénaturer, au
nom du rachat des fautes et de la revanche des battus de l’Histoire.
Tout est dans le "malgré tout", au trébuchet incertain des crimes du passé, normalement prescrits, et des œuvres réalisées. Ce qui caractérise la démocratie libérale par rapport à la loi de la tribu ou du clan, au système féodal et à l'absolutisme royal, aux tyrannies et aux théocraties, c'est la responsabilité pour soi, pas pour les autres ni pour ceux qui nous ont précédés, l’inverse de la loi du sang. La démocratie multiculturelle nous fait régresser vers la loi des frères ou la loi des parents, sous la coupe des chefs de gangs et des chefs de clans; la revanche jamais éteinte des ancêtres, la mémorialisation des crimes du passé, la vengeance jamais assouvie des victimes et de ceux qui en perpétuent le souvenir et établissent les bases du fonds de commerce lacrymal et lucratif qui servira leurs intérêts.
La « question blanche », le populisme et la nouvelle
guerre de Sécession à venir
Avant d’être
engagé pour jouer James Bond Daniel Craig se plaignait de ne se voir donner que
des rôles de nazi. Choisir un blond aux yeux bleus pour le rôle de 007 en 2005
fut le signe d’un retournement de tendance, une sorte de revanche des blonds,
dont l’élection de Trump est un parachèvement. Car Trump est un déviant au sens
du sociologue Erving Goffman : il refuse la place allouée par lui par la
société et il arbore le stigmate de sa blondeur comme un trophée. Il récupère
les traits de l’indignité en le transformant en signe de fierté, comme les
noirs arborant des coiffures afro en signe d’affirmation de soi, ou les
rescapés juifs des camps ne cachant pas leur tatouage au bras, ou les
homosexuels atteints par le sida récupérant la symbolique du triangle rose.
Avec le
phénomène Trump autant qu’avec le phénomène Marine Le Pen, et de façon moindre
avec le Brexit, on assiste à l’émergence d’un communautarisme de souche (blanc,
chrétien, masculin), fonctionnant à l’instar des autres communautarismes -la
revendication de droits, la victimisation et l'affichage agressif d'une fierté
retrouvée -la white pride après le black is beautiful et le gay pride- une «
communauté » jusqu’à présent majoritaire qui se sent dépossédée de ses droits
historiques.
On assiste aux État-Unis autant qu'en Europe à
l’émergence d’une « question blanche », comme il y eut une question juive ou
une question noire, en réaction à la mondialisation libérale dépossédante, au
multiculturalisme déculturant, au processus de remplacement populationnel, au
développement d’un féminisme castrateur et à la mise en cause de l’identité
culturelle multiséculaire de l’Homme occidental, si ce n’est des fondements de
sa civilisation : Athènes-Rome-Jérusalem, la Chrétienté médiévale, la
Renaissance, les Grandes découvertes, la Raison des Lumières, l’État-nation.
La victoire des
courants politiques populistes –le populisme n’étant jamais que le symptôme des
dysfonctionnements d’un système politique, et par là même un sursaut nécessaire
ou salvateur pour ce système- traduit la recomposition idéologique à l’échelle
planétaire, la summa divisio, comme dit Jacques Julliard, entre mondialistes et
souverainistes, ou à l’échelle française, entre les deux versions du
républicanisme observées par Marcel Gauchet: l’internationaliste et la
patriotique.
Les premières
nominations faites par Trump montrent que lui et ses partisans sont décidés à
maintenir une ligne dure, voire très dure contre ceux qui ne partagent pas leur
vision des États-Unis. Leur agenda est de refonder les bases de l’Amérique des
origines. Ce peut être une lutte sans merci qui s’engage entre deux visions,
d’un côté l’Amérique du WASP personnifié par Trump à laquelle une majorité des
couches populaires s’identifie et de l’autre l’Amérique multiculturelle
défendue par les élites de la finance et de la culture, le parti démocrate et
l’establishment du parti républicain, plus toute une ribambelle hétéroclite de
communautés et de groupes de pression.
Cette lutte est
porteuse de troubles civils et d’une nouvelle guerre de Sécession, sous forme
de partition et de communautarisation, sur des fondements similaires à la
première du genre mais à front renversés, et des lignes de fracture
géographiques étonnamment constantes. C’est le nord confédéré (le nord-est plus
précisément, plus la façade pacifique à l’ouest) qui sera tenté de faire sécession
contre le sud fédéraliste (associé au Midwest). Les libre-échangistes du parti démocrate
sont passés au nord et les protectionnistes du parti républicain au sud. De
même que les tenants de l’industrie versus ceux qui bénéficient d’une rente de
situation à l’exportation -hier l’agriculture du sud fondée sur l’exploitation
esclavagiste et aujourd’hui la net-économie du nord fondé sur l’extorsion
mondialisée de la valeur ajoutée. Une chose demeure en tous cas : les
fractures raciales et la vision obsédante racialisante de la société étatsunienne,
soit par séparatisme racial et volonté de ne pas se mélanger soit par l’injonction
au métissage et au mélange, par déni ou angélisme, pour nier ces races (ou
ces différences ethnico-culturelles si l’on veut rester correct) qui ne
devraient pas exister.
[1] Comme on le
voit dans une série de photos d’un article du Huffington Post dont le titre
-L’évolution des cheveux de Donald Trump est aussi effrayante que ses politiques- montre comment les partisans d’Hillary Clinton n’ont rien compris à
cette campagne et qu’ils ont, pour cette raison même, lourdement perdu les
élections.
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