lundi 24 octobre 2016

Sarkozy attaque Juppé sur son point faible : le Judas qu'il a à ses côtés

Le camp sarkoziste porte enfin le fer là où cela fait le plus mal aux juppéistes : la proximité d'Alain Juppé avec le traître à la droite, Judas Iscariote en personne : François Bayrou. La tactique de Nicolas Sarkozy consiste à déporter le centre de gravité politique de Juppé vers la gauche (ce que ce dernier avait déjà fait assez imprudemment, aux cours des années précédentes, avant les attentats et l’état d’urgence, avant le rejet massif des socialistes par les Français) pour lui dénier la légitimité de représenter une droite toujours plus droitière.
Pusillanime et accommodant, déloyal et changeant, européaniste et sans-frontiériste, Bayrou incarne depuis 2007 les pires défauts des ventres-mous du centre. Si la division droite-gauche fluctue selon les idées du moment, elle reste un marqueur d’appartenance. En France, on déteste les félons. Certains crurent en lui quand sa lucidité (sur la dette, l’autorité de l’État ou l’insécurité) prit des accents populistes, au point qu’on qualifia sa posture d’extrême-centre, mais sa danse du ventre devant Royal en 2007 et son ralliement de 2012 au panache de Hollande l’a marqué pour toujours au fer rouge, au signe du traître et du vendu.
Pour Juppé, cela ressort plus d’une question de positionnement que de programme du reste, parce qu’en matière d’économie et de finances il ne se distingue guère des autres, il veut aussi du brutal, le choc libéral thatchérien. Sur les questions de société en revanche -identité, immigration, sécurité- il entretient une ambiguïté qui le dessert, dans une France chauffée à blanc, entre la guimauve de son identité heureuse, de sa France optimiste et où il fait bon vivre qui le place au centre et ses mesures sécuritaires qui ne le différencient pas vraiment des autres candidats de la primaire.
En France, sous la Ve République, il est un principe immuable, et valable pour toutes les élections présidentielles: au premier tour, on rassemble son camp, en intégrant les marges, au second tour, on élargit au centre pour faire la différence. Cette double règle s'appliquait à la droite et à la gauche, à l'exception des présidents sortants qui devaient être moins clivant et jouer de l'appel au centre dès le premier tour, l'unité de leurs partisans leur étant acquise. Elle devrait fonctionner de la même manière pour les primaires de chaque camp. Les deux tours de la Primaire fonctionnent comme les deux tours de la Présidentielle. Les candidats les plus au centre sont toujours éliminés au soir du premier tour : Chaban-Delmas en 1974, Barre en 1988, Balladur en 1995, Jospin en 2002, Bayrou en 2007 et 2012.
Certes les élections de 2017 ne ressembleront à aucunes autres. Les règles qui ont prévalu par le passé sont changées, en particulier celle sur l’élimination du candidat du centre, du fait 1) de la tripartition politique plutôt que la bipartition avec un FN à 30 % 2) de l’avènement des primaires dans les deux camps et surtout 3) de l’absence de candidat de gauche crédible compte tenu de l’état de délabrement du parti socialiste et du suicide politique de François Hollande. Tout ceci rend les pronostics difficiles.  
Malgré les sondages Juppé n’a pas la partie encore gagnée. Pas plus que Sarkozy n'a la remontée assurée. Il faudra compter avec le troisième homme, François Fillon, qui pourrait les coiffer tous deux au poteau. La victoire va dépendre de paramètres très volatiles spécifiques à cette primaire : participation des votants de centre-gauche (que le PS est en train de décourager car il vaut mieux Sarkozy plutôt que Juppé face au candidat socialiste), règles flottantes et contestations probables sur leur régularité, manipulations et bourrages possibles des urnes, consignes de vote données par les éliminés en vue du second tour.
Je redonne ici deux articles parus le 3 juin 2015 (Pourquoi Juppé va se planter et le parti Ricain s’éparpiller façon puzzle) et le 23 juillet 2015 (Bayrou ou le baiser de Judas dont Juppé ne se remettra pas) sur le journal en ligne Boulevard Voltaire à propos de ce centre introuvable dans notre démocratie et de la relation Juppé-Jésus et Bayrou-Judas. La problématique n’a pas changé et le diagnostic reste d’actualité. J’avais même fait preuve d'une certaine prescience sur les stratégies à attendre de la part des deux camps.
Une dernière précision sur Bayrou et son baiser de Judas à Juppé. Le Christ n’existerait pas sans Judas. C’est ce que toute une exégèse chrétienne, mais aussi profane et littéraire, nous a enseigné, celle de Luis Borges en premier avec son formidable 30 deniers. La récompense de 30 deniers donnée à Judas était le prix d’une vilenie obligée et comme encouragée par Jésus lui-même. Le baiser de Judas à Jésus au mont des Oliviers marque le consentement par Judas au sacrifice de soi, par l’opprobre et l’infamie qu’il consent à recueillir sur lui. Il n’y a pas de geste d’amour plus grand.
Il n’y aurait pas eu accomplissement de la prophétie -le procès, le chemin de croix et la mort sur la croix- sans Judas. Il n’y aurait pas de rémission possible des péchés et de rachat de l’humanité sans la trahison initiale de l’apôtre préféré. Christ et Judas sont les deux faces de la même tragédie. Bayrou et Juppé vont-ils nous jouer Jésus et Judas, ou Othello et Iago jusqu’à la fin ?



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