Flixbus, l'Uber du transport low-cost par autocar
Les cars Macron: les Allemands de Flixbus leur disent merci ! (I)
Chauffeurs irascibles, impolis et mal-embouchés, ne parlant pas un mot de français, et guère plus d’anglais ou d’allemand. Pagaille indescriptible en des arrêts au petit bonheur la chance pas adaptés pour recevoir une telle noria d’autocars. Temps de pause non respectés, retards, conduite aléatoire, accidents. Toilettes bouchées ou infâmes ou inutilisables sur fond de Wifi morte ou faiblarde. Etuve ou frigidaire selon le bon vouloir de la climatisation ou de celui qui s’en sert. Enfin, le meilleur, la gare des départs ou des arrivées, sis à Paris-Bercy France, vétuste, étriquée, dangereuse, très loin des normes de sécurité ou de confort minimales, une zone de non droit et un vrai coupe-gorge avec le parc mitoyen sinistre qu’il faut traverser pour y pénétrer, gare routière où jamais vous ne verrez un policier ou quoi que ce soit qui ressemble à un agent de sécurité ! Comme quoi les terroristes n’ont guère d’imagination pas plus que les autorités de l’Etat sensées nous protéger. Il est vrai que ni les uns ni les autres ne fréquentent ce genre d’endroit destiné au quart-monde de ceux qui ne peuvent se payer le train. Bienvenue chez Flixbus ou plutôt Willkommen bei Flixbus, l’Uber du transport par autocar ! Et bienvenue au Paris d’Hidalgo, cette vitrine des beautés de la France et du savoir-faire à la française !
On
peut n’avoir pas voté Macron et reconnaitre à l’exécutif gouvernemental le
mérite de faire ce qu’il dit et de manifester un courage politique dont le
personnel politique ne nous avait plus habitué depuis 30 ans. On peut aussi être un libéral ou un libéral-conservateur au
sens de Tocqueville et de Raymond Aron tout en désapprouvant la politique économique
et sociale d’Emmanuel Macron, marquée au sceau du fétichisme du marché, sans
discernement sur les modalités de libéralisation d’un secteur, vision de
court-terme sans considérer les dégâts collatéraux et les effets politiques et
sociaux.
Une décision de dérégulation est bonne ou
mauvaise, dépendamment des circonstances et du moment : libéraliser le
marché du travail en 2017 quand nos partenaires commerciaux, États-Unis et
Grande Bretagne en tête, prennent un tournant souverainiste ou livrer la SNCF aux
feux de la concurrence et à la loi d'airain des profits quand les
circonstances ne s’y prêtent pas. Un exemple topique à l’appui avec la libéralisation
du secteur des transports par autocar sur longues distance.
La décision fut prise à un mauvais moment pour
les intérêts nationaux, pour autant que l’intérêt national eût compté, et non
le fétiche de la dérèglementation. Cette loi du 6 août
2015 pour la croissance, l'activité et
l'égalité des chances économiques, voté avec le 49.3 que certains
commentateurs enthousiastes ont vu comme le signe de l’audace et de la
modernité, aura réussi le tour de force, en 3 ans à peine, d’affaiblir un peu
plus la SNCF en même temps que
d’offrir clef en main un marché au géant allemand du secteur. Baptisés du nom du
ministre qui les porta sur les fronts baptismaux, les cars Macron risquent d’être un des boulets à trainer pour le
chantre du progressisme mercantile et du modernisme marchand quand les
résultats de la dérégulation brutale et sans préparation ne seront pas au
rendez-vous, entre autres les 22 000 créations d’emplois espérées.
Dans
le futur, le cas d’espèce sera peut-être étudié, soit en école de commerce soit
dans une école de l’administration, comme ce qu’il convient de faire ou de ne
pas faire, selon que l’on se destine au service des affaires ou au service de
l’État. Dans le transport par autocar, comme pour le reste, l’Union européenne
et les mercenaires qui la servent, nous ont mis à l’heure allemande.
·
Flixbus, un modèle d’affaire au succès imparable
Le
principal bénéficiaire de cette dérèglementation aura été la compagnie Flixbus,
sis à Munich, capitale économique de l’Allemagne, une start-up au développement
foudroyant. Ils étaient trois fondateurs de moins de 30 ans, deux consultants
venus de la firme Boston Consulting et un informaticien qui travaillait chez
Microsoft. Ça s’appelait Gobus et on était en 2011, quand le marché allemand n’était
encore pas libéralisé mais les trois petits malins avaient noté que le projet
figurait dans le contrat de coalition CDU-SPD. Aussi à la date fatidique, au 1er
janvier 2013, Flixbus était prête et lançait ses premières lignes dès février
2013. En un an, son réseau couvrait toute l’Allemagne et étendait déjà ses
tentacules dans les pays limitrophes.
Flixbus
est une success story comme on les
aime dans la nouvelle économie à base de NTI, y compris dans les secteurs traditionnels:
créateurs innovants, business angels et investisseurs avisés, concurrents
ratiboisés, sous-traitance maximale, prix imbattables, couts
fixes réduits ou à la charge de la collectivité,
dématérialisation réduisant couts administratifs et commerciaux et pour finir, une
belle position monopolistique gage d’énormes profits pour le futur; mais avec
les ingrédients propres au style allemand des affaires : discrétion des
dirigeants, contrôle du capital, confidentialité des résultats, prudence dans
les diversifications.
Flixbus
a écrasé le marché allemand en 2 ans seulement, avalant ses concurrents et défaisant
l’incontournable Deutsche Bahn qui s’était pourtant préparée à l’avance à la
fin de son monopole (vieux de 70 ans) sur les longues distances par le rail et
la route. En 4 ans, outre l’Allemagne (90 à 95 % du marché) Flixbus se retrouve
en position ultra dominante sur l’ensemble des marchés limitrophes, sauf en
Suisse (qui ne s’en laisse pas compter, et pour cause), un monopole privé à qui
rien ne fait peur puisqu’il a attaqué l’ancien monopole public sur son cœur de
métier en lançant Flixtrain en mars 2018. En mai 2018 Flixbus dessert 1400
destinations dans 28 pays. Le pire c’est que Flixbus et la Deutsche Bahn étant
assez complémentaires, ce sont les concurrents européens, Deutschland über alles oblige, qui en feront les frais.
Fort de l’appui financier des investisseurs
entrés à son capital en 2017, Flixbus a pris pied en mai 2018 sur le marché
étatsunien où un développement époustouflant de 1000 destinations est prévu
d’ici la fin de l’année. Les vénérables Greyhound et Stagecoach bien connus des
familiers des voyages aux États-Unis risquent d’être vite bousculés dans un
secteur resté vieillot, faiblement productif et peu rentable, comme tout ce qui
ressort de la vieille économie dans ce pays.
·
L’ogre bavarois engage la bataille de France
La
libéralisation du marché français de 2015 et sa montée en puissance progressive
jusqu’en 2017 arrivèrent à point nommé pour l’ogre bavarois, quand la
bataille d’Allemagne venait d’être gagnée, en lui offrant sur un plateau un
marché dans les limbes, avec l’énorme avantage compétitif tiré de sa position dominante,
d’autant que l’effet volume est très important pour les coûts d’exploitation (qui
sont identiques que le bus soit plein ou à moitié vide) ainsi que l’effet de taille pour l’offre
commerciale, donc le cout d’entrée sur le marché est très élevé pour les
nouveaux concurrents.
Fort de son modèle de développement peu
capitalistique, de sa politique commerciale agressive, de ses prix imbattables
et surtout avec l’atout de la position centrale de l’Allemagne au centre du
réseau autoroutier européen, avec ses lignes sur très longue distance qui permettent
des économies d’échelle, et en jouant à fond le jeu des différentiels de coûts
salariaux et de prix de marché entre l’est et l’ouest de l’Europe, Flixbus va écraser
le marché français, comme les autres.
Les bus verts mâtinés de blanc et fléchés d’orange
de Flixbus sont déjà familiers aux Français. Le cannibale de
Bavière ne va faire qu’une bouchée
de ses deux concurrents français, Ouibus, filiale de la SNCF, et Transdev,
filiale de la Caisse des dépôts et de Veolia déjà marginalisée. En 2017, les
trois compagnies détenaient encore un tiers du marché chacune. Plus pour
longtemps. Erreurs stratégiques oblige (autocars à l’achat et trop luxueux, et
chauffeurs « maisons » généreusement rémunérés) de la part de ses
dirigeants, la SNCF a épongé les énormes déficits de sa filiale Ouibus pour
finir par se conformer au modèle économique de son concurrent. Mais trop tard. Elle
ne défend plus les parts de marché qui lui restent qu’en bradant ses prix et en
vendant à perte. La SNCF sera un peu plus en difficulté et on en imputera
encore une fois la faute aux cheminots. Inutile de dire que la grève à la SNCF
a apporté à Flixbus un énorme surcroit d’activité.
Rappelons-le,
les problèmes de la SNCF tiennent pour l’essentiel à sa dette faramineuse liée à
la construction du réseau à grande vitesse (que l’État reprend en partie à son
compte en échange de la semi-privatisation de l’entreprise), et aux choix stratégiques
imbéciles (la très grande vitesse sur de nouvelles lignes plutôt que la grande
vitesse en aménageant les lignes existantes, les interconnections et les trains
urbains et de proximité) faits depuis 30 ans par les polytechniciens et
énarques qui la dirigent, par les ministres des transports qui traçaient des
tangentes sur la carte de France en se croyant encore aux temps bénis de la
planification et par les élus locaux qui firent des pieds et des mains pour
avoir leur gare TGV dans leur ville ou leurs champs de betteraves. Outre que si
la SNCF n’est pas compétitive face à la plupart de ses concurrents étrangers, et
qu’elle le sera encore moins, puisque le transport par autocar va lui prendre
des parts de marché et que la concurrence sur le rail va s’activer, ce n’est
pas à cause des avantages des cheminots mais parce que les couts en France sont
grevés par une protection sociale qui absorbe un tiers de la richesse
nationale.
Les
principaux perdants à cette libéralisation brutale, outre la SNCF, est le
contribuable français qui a financé et continuera de financer les charges de la
dette du réseau ferré, mais aussi notre balance commerciale puisque les
recettes partent à l’étranger, ainsi que les impôts et les cotisations sociales
qui ne sont plus payés sur des salaires et des profits qui sont également
versés ailleurs et surtout ces emplois en France, occupés par des Français, qui
ne seront pas créés ou qui disparaitront avec les entreprises que Flixbus va
démantibuler.
·
Flixbus ou l’Uber du transport low-cost
par autocar
Flixbus est l’Uber du transport de voyageur par
autocar : une marque, une application web, la sous-traitance pour les
investissements (le facteur capital) et le personnel (le facteur travail), en
fait tout ce qui coute de l’argent ou créé des emmerdements (droit du travail,
syndicats), et le contrôle des transactions financières entre clients et
prestataires de transports sur lesquelles ils prélèvent la meilleure part.
Les bus appartiennent à des sous-traitants qui
supportent l’intégralité du risque capitalistique et financier, et même du
risque commercial puisque Flixbus leur reverse une somme fixe par voyageur,
sans garantie de couverture des coûts fixes. Les chauffeurs relèvent aussi des
sous-traitants, qui sont donc responsables de l’embauche et de la qualification
de leurs employés, quand bien même ils roulent sous l’enseigne Flixbus et qu’ils
ne sont pas payés par elle, ainsi que des conditions de travail ou du respect
de la règlementation sur les temps de conduite des chauffeurs routiers.
C’est un système de sous-traitance, ou d‘exploitation,
comme les Allemands les adorent depuis l’intégration de l’Europe centrale à
l’espace vital de l’économie allemande : les travailleurs à bas coûts sont
à l’est, les marchés lucratifs à l’ouest, et les profits entre les deux sont
pour eux. Mieux que Uber en termes d’image car les chauffeurs et les bus
portant les couleurs de Flixbus passent pour en être partie prenante et ne faire
qu’un avec elle.
Cerise sur le gâteau, contrairement aux
compagnies de chemin de fer qui paient une redevance pour le réseau ferré et
les gares ferroviaires, Flixbus et les autres concurrents du transport par autocars
ne participent pas au coût des infrastructures routières (en Allemagne seuls
les camions paient la vignette autoroutière) ni à celui des gares routières, ou
pas encore, pour la bonne raison que ces gares n’existent pas et qu’en guise de
gare routière c’est la place de la Gare qui en fait office, là où les cars longue
distance et les autobus de ville se partagent un espace resserré dans la plus
grande confusion.
Candide dans le meilleur des mondes à la Flixbus
Les cars Macron: les Allemands de Flixbus leur disent merci ! (II)
Il n’est pas inintéressant que
le commentateur puisse partager son expérience concrète sur le sujet qu’il
traite. Il se trouve que j’utilise les services de Flixbus depuis six mois, à
raison d’une à deux fois par semaine, entre mon domicile d’Heidelberg et mon
emploi dans un ministère à Paris où une décision d’affectation aussi inopinée
que subie m’a fait goûter aux délices pendulaires du travailleur nomade, à
raison de 7 à 9 heures par trajet, qui plus est effectué de nuit pour ne pas
perdre deux journées précieuses pour le repos du guerrier dans les transports
routiers.
- Candide prend le bus
Je prendrais volontiers le
rôle du Candide dans le meilleur des mondes. Le meilleur des mondes capitaliste
et libéral, et du transport par autocar 2.0 à coups de nouvelles technologies,
de sous-traitance et de main d’œuvre substituable, c’est Flixbus, firme conquérante,
confiante en elle, sûre de son bon droit, si typiquement allemande. On se
souvient que le meilleur des mondes de Thunder-ten-tronck dans le conte de
Voltaire c’est Pangloss qui le représente. Pangloss est le double du philosophe
allemand Leibnitz. Caricaturé par Voltaire sa pensée n’en incarne pas moins une
certaine permanence allemande de s’accommoder avec les choses. Il aura voulu se
venger un peu de ce que Frédéric II de Prusse lui faisait endurer, un peu comme
Mme Merkel aujourd’hui avec les Français : il nous faut la supporter et
parfois, nous lui retournons les avanies qu’elle nous cause.
J’ai utilisé la ligne 109
qui relie Prague à Paris, avec arrêts à Nuremberg, Heidelberg et Mannheim,
départ de Heidelberg le dimanche soir à minuit et arrivée théorique à Paris à
6H45, en fait 8H30 à cause des embouteillages à l’entrée de Paris et retour le
vendredi à 23 H pour arriver le lendemain à 5H45. Le prix, entre 25,99 € quand
le bus est à moitié vide (et que, oh délice, deux sièges s’offre au passager pour
qu’il tente de dormir un peu) et jusqu’à 48,99 € quand le bus est presque plein
(à la différence du train, le prix du billet augmente non en fonction de la
proximité de la date mais au fur et à mesure que le bus se remplit, ce qui
assure des profits colossaux quand le bus est plein comme un œuf et le confort
minimal pour les passagers !). Les prix ont augmenté de 10 % en juin outre
l’instauration de frais de 2 € par transaction. Flixbus actionne désormais la
pompe à profits !
Par comparaison, avec la Deutsche
Bahn et la SNCF les billets coutent de deux à cinq fois plus, hors les Prems à
39 €, pour un temps de trajet de 4 à 5 H avec un seul changement). La DB est 30
% moins chère que la SNCF, et l’ICE est beaucoup plus confortable, l’espace est
plus grand et la clientèle y est plus civilisée que dans les TGV mal conçus,
bondés, décatis et mal fréquentés. D’ou l’on voit que la SNCF n’est pas
compétitive, et non pas spécifiquement à cause de ses cheminots, mais à
l’instar de la plupart des entreprises françaises, parce que ses couts sont
plus hauts ou sa productivité trop faible.
- Le libéralisme pur et dur
et sans fioritures de Flixbus
Sur la ligne Prague-Paris,
les bus sont à double étage et les chauffeurs sont à deux, ils sont sensés se
relayer toutes les 6 heures. Ils sont tous tchèques, différence de salaires
entre la France et la République tchèque oblige. Ils baragouinent parfois un
peu allemand. Sur les autres lignes internationales au départ de Paris, vers Amsterdam,
Francfort ou Londres, pareil, je n’ai jamais entendu de chauffeur français. Du
reste les bus sont tous immatriculés à l’étranger sauf ceux reliant Paris à une
ville de province. C’est la préférence étrangère à tous les étages… Pire, pas
une seule fois, en 6 mois je n’ai entendu un mot de français dans le message préenregistré
ou les explications au micro du chauffeur qui donne les consignes de sécurité,
comme de boucler sa ceinture, ou qui annonce le prochain arrêt. La clause
Molière à Flixbus, on ne connait pas !
En une trentaine de
trajets, pas une fois je n’ai vu non plus un contrôle aux frontières ou un
passage de policiers. Cela est pourtant courant dans le train. Le travail de
police incombe aux chauffeurs qui demandent aux passagers de présenter une
pièce d’identité, sous peine de ne pouvoir embarquer. Le contrôle est
superficiel, ni le nom ni la photo ne pouvant être vérifiés. Les clandestins,
les trafiquants, les irréguliers peuvent s’en donner à cœur joie avec les
frontières passoires de Schengen.
La clientèle est de quatre
sortes: les routards visitant Prague ou Paris, les étudiants sur une ligne qui
a pour particularité de relier de grandes villes universitaires entre elles,
des travailleurs originaires de l’est de l’Europe qui vont travailler en France
ou en Angleterre, ou qui en reviennent, et des migrants enfin, avec des flopées
d’enfants en bas-âge.
Pour les à-côtés du
service, souvent le Wifi ne fonctionne pas mais la vente de boissons et
d’en-cas à prix raisonnables est bien faite. J’ai expérimenté des toilettes
bouchées ou fermées, et le plus souvent elles sont très sales, par la faute de
ces messieurs qui ne veulent pas s’asseoir, ou qui ne le peuvent pas, vu l’exiguïté
de l’endroit, ou du jet d’eau farfelu qui sort du robinet de ce qui fait office
de lavabo, tout dépendant en fait du bon-vouloir du chauffeur à les nettoyer
souvent.
Le plus important sur ces
autocars longue distance est le confort et c’est le principal reproche à faire
à Flixbus. En hiver, on gèle ou on crève de chaud si l’on est en bas ou en
haut, selon les caprices de la climatisation. L’espace pour les jambes est standard,
mais tout se complique quand la personne devant vous incline son dossier et que
vous vous sentez obliger de faire de même pour accroitre votre espace vital
vis-à-vis de votre voisin de derrière, qui par malchance est un grand gaillard
d’Allemand pas marrant, sans compter que la position inclinée n’est pas optimale,
faute d’atteindre les 75º d’usage pour se reposer, et qu’il est impossible de
dormir quand on glisse inexorablement et que tout le poids du corps repose sur vos
malheureux fessiers.
Les litiges avec les
passagers sont courants et j’ai assisté à des petits drames déplaisants : parce
qu’il n’y a pas de signalisation sur l’endroit où s’arrête le bus, qu’il n’y a
pas de guichet, qu’on ne peut modifier son billet qu’en ligne, qu’une
annulation doit se faire 15 minutes avant le départ, que le car n’attend pas et
que le système de prix est implacable -plus le bus est plein, et donc
inconfortable, plus le prix du billet est cher (et plus la marge bénéficiaire de
Flixbus est grande).
C’est un monde dur et cruel,
pour l’accès aux meilleures places et pour conserver vide le siège d’à-côté,
lorsque montent de nouveaux voyageurs -certains y place un sac, d’autres
s’étale et font semblant de dormir. Ça frise le sordide quand ce sont des
familles avec enfants qui ne trouvent pas à s’asseoir ou alors séparément. On
se prend à vouloir faire de même, par angoisse de ne pas
dormir et d’arriver épuisé au travail et de ne rien pouvoir faire de sa
journée.
Pas un
regard, pas un égard, pas une gentillesse ou une parole de politesse ou d’intérêt. C’est le
chacun pour soi. Je me souviens des rencontres que je faisais quand je
voyageais naguère par le bus –en Iran, en Turquie, en Géorgie- ou en auto-stop,
quand il n’y avait ni écouteurs sur les oreilles pour se couper du monde ni
écran de téléphone où s’absorber et oublier les autres. Trois fois seulement,
j’ai noué un début de conversation: avec deux jeunes mexicaines pleines de
bonne humeur qui visitaient l’Europe, avec un travailleur tchèque rieur et
prévenant qui se rendait à Londres et avec qui je partageais la rangée des cinq
sièges du fond, avec un couple d’étudiants turcs qui avaient raté le bus de la
veille et cherchaient le nouvel arrêt à Heidelberg.
- La gare routière de Bercy :
zone de non-droit et tiers-mondisation de Paris
Qui a un peu voyager aux États-Unis ou dans ces
pays où le réseau ferré a disparu sait comment fonctionne le transport par
autocar longue distance, avec son rituel des embarquements. On se rend à la
gare routière, souvent excentré, on peut acheter son billet à un guichet, on
attend dans une salle d’attente propre et spacieuse dont la porte s’ouvre quand
le bus est à quai. L’embarquement se fait dans le calme, un par un, chacun son
tour, avec civilité.
Rien de tout ça avec les services d’autocar
2.0. Dans les villes moyennes, il n’y a pas les infrastructures d’une gare
routière (guichets, toilettes, abris contre les intempéries). C’est la mêlée
pour faire vérifier son billet et entrer en premier et gagner les bonnes places.
Certaines grandes villes comme Cologne ont dû prendre des mesures drastiques
pour éviter la congestion.
Le pire est cependant à Paris, à la gare de
routière de Bercy qu’exploite surtout Flixbus depuis 2017 en lieu et place de
la porte Maillot et parce que Ouibus est marginalisé ou que ses bus partent de
la gare ferroviaire à côté. La gare routière de Bercy, c’est la Cour des
miracles, les trottoirs de Calcutta et les coins mal famés de Harlem réunis,
même si cela s’est amélioré depuis le mois dernier, en fait, comme par hasard,
depuis la grève de la SNCF. Flixbus y a installé des panneaux lumineux (qui
marchent parfois) pour indiquer le numéro du quai d’où partent les bus, un
guichet est ouvert pendant la journée, les WC sont parfois moins répugnants,
tous les chauffeurs se sont résolus à arrêter leur moteur, et la dernière fois
j’y ai même vu des panneaux d’interdiction de fumer !
Comme la libéralisation du secteur n’a pas été
préparée, que le régulateur du secteur doit avoir d’autres chats à fouetter et
qu’à la mairie de Paris, c’est le foutoir le plus complet, la
« gare » en question qui est vieillotte et était quasi à l’abandon n’est
pas aux normes et aucuns travaux n’y ont été mené depuis la loi de 2015, sans
compter qu’elle est mitoyenne du parc omnisport de Bercy et du jardin du même
nom, qui n’est pas entretenu et ressemble à un coupe-gorge la nuit, et forme un
bourbier infame en hiver. Le Monde écrivait dans un article du 17 août 2016 que
la gare routière de Bercy était « un vaste hangar sinistre, dont l’entrée
est cachée par les murs tagués du skate-park local ». C’est bien pire
depuis que Flixbus y est à demeure. Rien ne pourra être amélioré de ce qui
ressort du bâtiment lui-même: intérieur et sans aérations, l’absence de salles
d’attente et d’espaces d’accueil, l’exiguïté du tout. Il faudrait tout raser et
reconstruire.
Sans compter que pas une seule fois, quelque
soit l’heure où je m’y suis trouvé je n’ai vu une patrouille de forces de
l’ordre ou des militaires de Vigipirate. Bien sûr aucun contrôle des bagages. Heureusement
que les terroristes n’ont aucune imagination. Si l’endroit est sinistre et
anxiogène, je dois reconnaître que je n’ai jamais vu ni violence ni vols ni
délits alors que cela s’y prête à merveille. M’est avis que les délinquants de haut
vol ne fréquentent pas ce lieu destiné à un quart-monde de pauvres gens et de sans-dents.
C’est très en dessous de leur standing habituel de prédation et ils ne
connaissent pas l’endroit.
Dernier évènement significatif en date, et pas
des moindres, le mercredi 4 juillet, à l’occasion d’un méga concert de Justin
Timberlake à l’aréna Accord mitoyenne de la gare routière: une douzaine de
camions semi-remorques étaient garés là, à l’intérieur, moteurs allumés en
continue pour alimenter leurs compresseurs. Autant dire que la chaleur y était
insupportable et l’air irrespirable. J’ai vu des gens tournés de l’œil. Mais
que fait la mairie de Paris !?
Macron retord et en retard d’une guerre
Les cars Macron: les Allemands de Flixbus leur disent merci ! (III)
On ne voit pas quel autre concurrent pourrait
contrer Flixbus dans sa marche en avant pour l’hégémonie planétaire. Déjà No 1
européen du secteur, Flixbus sera bientôt le No 1 mondial avec la conquête de
nouveaux marchés, tant le rouleau compresseur allemand, fait de rationalité,
d’efficacité et d’une bonne dose de cynisme et de brutalité, ne laisse aucune
chance à ses concurrents si on a le malheur de lui laisser la bride sur le cou.
· Le redoutable rouleau-compresseur
allemand : efficace, brutal, sans concessions
Flixbus est révélateur des succès allemands
dont les Français ont tort de croire qu’ils ne relèveraient que de causes
extérieures ou conjoncturelles (telle que la main mise allemande sur la
politique monétaire et les politiques budgétaires européennes). Les succès allemands
dans les affaires, mais aussi dans le sport (pas toujours !), tiennent à leur organisation
globale, économique, sociale et politique, plus efficace, et à la mentalité
tournée vers la performance qui se déploie dans le travail et les processus de
décisions collectives, ce que l’on nomme l’éthos, ou l’identité nationale, pour
faire plus élégant. Inutile de dire tout ce que cette compétition à outrance,
et l’enrégimentement qu’elle suppose, suscite en sentiment d’ennui dans les
rapports collectifs et en laissés-pour-compte laissés sur le carreau, mais ceci
est un autre problème qui n’est pas le sujet de cet article.
L’exemple de la libéralisation du marché des
bus est des plus éloquents pour expliquer comment fonctionne le système
allemand (qui n’est un modèle que pour leur propre usage): là où les Allemands prennent
du temps pour se décider, pour discuter, pour se donner les moyens, et in fine s’arroger
tous les atouts en main, les Français temporisent et folâtrent, se trompant de
sujet et finissent par une décision précipitée, non concertée, non préparée. Avec
les erreurs stratégiques initiales des pontes de la SNCF sur Ouibus pour
couronner le tout. Le résultat est couru d’avance. Le rouleau compresseur
allemand ne fera, une nouvelle fois, qu’une bouchée de son inconstant et
inconséquent voisin, comme il le fit en 1870, en 1914 et en 1940. L’économie
est la guerre par d’autres moyens et la France qui avait été, jadis, une grande
nation guerrière perd toutes ses guerres depuis 150 ans, ou presque. Sauf quand
elle se résout à faire appel, en désespoir de cause, à ses meilleurs généraux
pour la sortir du bourbier où les politiques et les bureaucrates l’ont jeté.
·
En économie, la France à contre-temps, comme toujours
Notre monde de 2018 est le monde à l’envers. La France se met à l’heure
du libéralisme avec bien retard en regard du tournant néo-libéral des années
1980 et 1990, alors que la conjoncture s’y prêtait mieux, que l’endettement
public restait modéré, que tout le monde faisait les mêmes réformes en même
temps. A présent, les peuples ont constaté les dégâts du libéralisme
sans-frontières et sans-barrières, et de ces tristes acolytes européaniste et
mondialiste, les deux porte-flingues à ses côtés, et ils rebroussent chemin,
États-Unis et Grande Bretagne en tête.
Quel paradoxe et quel étonnant retournement de situation que les
parangons anglo-saxons du libéralisme soient devenus d’acharnés souverainistes.
Paradoxe apparent seulement car ce sont des pragmatiques avant tout. Ils ne
tiennent aux théories qu’ils édictent que pour autant elles servent leurs
propres intérêts. Comme l’Italie qui fière de ces 3000 ans de civilisation, et
éternelle laboratoire politique de l’Europe, montre la voie du souverainisme à
la sauce populiste sans s’inquiéter du mépris habituel de la France qui lui
donne des leçons. Il est à craindre que Macron en se faisant le porte étendard
du libéralisme, et du libertarisme, ne fasse beaucoup rire dans plusieurs
capitales alliées et que la France se retrouvât le dindon de la farce au jeu du
libéralisme pur et dur, au moment où plus personne n’y veut plus jouer.
Car la France, comme toujours, est en retard d’une guerre. Or il y a un
risque à se mettre hors des cycles qui rythment la vie de la politique et de
l’économie. Laval en fit l’expérience en 1935 avec sa politique de déflation et
Mitterrand en 1981 avec sa politique de relance. Et combien de pays ont vu leur
système productif s’effondrer en quelques années, et jamais ne se reconstituer,
par la faute d’une ouverture des frontières brutale et non préparée, la Russie
des années 90 en particulier.
Keynes et Schumpeter, économistes libéraux s’il en fut, ainsi que
Kondratieff (mort au Goulag) n’ont cessé de défendre une approche
circonstanciée et opportuniste, et contra-cyclique de l’activité économique, de
l’action publique ou du développement des technologies, pour empêcher le
capitalisme de s’effondrer. De même qu’en microéconomie ou en macroéconomie la
littérature abonde pour tous les déséquilibres de marché, tous les trucs pour les
rééquilibrer et surtout pour en profiter en contournant le jeu de la
concurrence. Mais rien n’y fait le fétiche du marché de concurrence pure et
parfaite agit toujours !
- Quand la main droite dérégulatrice ignore ce que fait la main gauche protectrice
Bien sûr, le consommateur-client étant roi c’est lui qui dicte sa loi,
et avec Flixbus et consors il a trouvé le moyen de diviser par trois le prix de
son billet par rapport au train. Le consommateur ne perçoit cependant pas tout
le tort qu’il peut faire au producteur-travailleur qui pourra être son père ou
son cousin, ceux-là qui garantissent la croissance, l’emploi et le maintien de la
base productive sur laquelle l’impôt sera prélevée, et donc la prospérité de
long terme assurée, et du reste il s’en contrefout royalement le
consommateur-roi parce qu’il est un européaniste convaincu, qu’il n’admet
aucunes frontières à sa frénésie de désir, et parce que jeune, éduqué, sans
identité enracinée il éprouve un plaisir sadique à nuire aux prolos et aux
deschiens de la France périphérique et du Front national, de l’Allemagne de
l’AfD et des Britanniques du Brexit.
Les fétichistes du marché vivent dans un monde idéal. Ils avaient leur
pendant, rappelons-le, avec les socialistes fétichistes des nationalisations,
de la planification et du dirigisme d’État, ceux-là qui ne comprenaient pas que
l’économie a parfois besoin de coudées franches, comme un cheval à qui il faut lâcher
la bride pour qu’il galope tout son saoul et s’abandonne à l’énergie accumulée
en lui. L’économie libérale (qui ont battu à plat de couture le socialisme et
ses avatars communistes et sociaux-démocrates) fonctionne à la manière du cavalier
-l’équivalent de la puissance publique- avec
son cheval, il doit le retenir ou le laisser courir, faire varier les allures,
pour le mener au pas, au trot ou au galop selon le terrain où ils évoluent, le
but du voyage, les incidents du parcours et la qualité du canasson ! Tout
dépend des circonstances et du moment, de l’opportunité.
Dans son choix calculateur et intéressé, l’individu égoïste ignore tous
des tords que sa main gauche fait à sa main droite, c’est pourquoi l’État, et
ceux qui le serve, sont là pour remédier aux déséquilibres de marchés et
arriver à un optimum de bien collectif, soit à la façon autoritaire et
collectiviste avec les brillants résultats que l’on sait de l’URSS à Cuba
jusqu’au Venezuela, soit à la manière capitaliste pure et dure du 19e
siècle et jusqu’aux années 1930, en supprimant tous les freins empêchant aux
marchés de s’auto-équilibrer, soit enfin, en régulant ces mêmes marchés, en
usant de plus ou moins de règles ou de libertés, dépendamment des types de
biens ou de services, de leur maturité, de l’état de la concurrence.
·
L’agenda caché du Président Macron
La décision de libéralisation du marché de
l’autocar sans une période de transition ou d’adaptation préalable pendant
laquelle la SNCF et d’autres compétiteurs français auraient pu se préparer et
affuter leurs armes peut surprendre même d’un point de vue libéral, tant l’économie
française et l’emploi en France n’avaient aucun bénéfice de court-terme à en
tirer. Il est vrai que l’argument, démagogique s’il en fut, formulé par Emmanuel
Macron consista à faire croire que les pauvres gens allaient pouvoir se payer
des vacances en utilisant les bus portant son nom !
Que de décisions vendues au populo, allant
contre ses intérêts, en se servant du mythe des congés payés du Front populaire
ou de l’argument de l’internationalisme et de la vulgate droit-de-l’hommiste (l’argument
humanitaire qui justifiait la concurrence des travailleurs étrangers et
l’immigration de peuplement a du plomb dans l’aile en Allemagne chez les
dirigeants de Die Linke qui ont enfin relu les bonnes pages du bon petit père
Marx).
Emmanuel Macron a montré qu’il pouvait être
retord, jusqu’à chercher à tirer avec un fusil visant dans les coins comme
disait Rocard. Car à part les étudiants qui font économiser à leurs parents les
frais de transport pour retourner chez eux ou prendre des vacances, ce sont
surtout des travailleurs, et des migrants, qui utilisent les lignes d’autobus
longue distance. Dans quelles mesures, la dérégulation des cars Macron ainsi
que l’abandon de la SNCF à ces lois du marché qui la mettront par terre, n’obéit
pas à un agenda caché ?
Karl Polanyi, dans un ouvrage qui fit date, La Grande Transformation, en 1944,
montra comment les fétichistes du marché et authentiques libéraux du début du
19e puis ceux du début du 20e siècle ont vigoureusement
repris en main de manière autoritaire des sociétés menacées d’un effondrement
complet du fait de la dérégulation et de l’unification de l’économie sous la
loi d’airain des marchés, ceci en tuant l’opposition politique et syndicaliste,
par la force même. Ce que Thatcher fit aussi en son temps, et sa manière, avec
la grève des mineurs pour mettre à bas le travaillisme britannique.
Quel sont les bénéficiaires des cars Macron, hors
les jeunes de la classe moyenne qui économisent sur le prix qu’ils payeraient
avec le train ? Les prolétaires ou les travailleurs, certainement mais pas pour
des vacances qu’ils ne peuvent de toute façon pas s’offrir. Ces cars longue
distance permettent aux travailleurs d’être mobiles, d’aller chercher du
travail ou de se rendre sur leur lieu de travail à moindre frais, et le prix du
transport baissant c’est le prix de la force de travail qui baisse aussi.
C’est le crédo premier d’un marché du travail
optimisé, sa fluidité, grâce à la mobilité des salariés, pour une allocation
optimale des ressources. Les mouvements nationaux de travailleurs entre régions
déshérités et régions qui embauchent et les mouvements internationaux de
travailleurs, d’est en ouest et du nord au sud, compte tenu des différences de
salaire, permettront ainsi de « fluidifier » davantage le marché du
travail français, en d’autres termes de pousser les salaires vers le bas. Dans
cette économie hors-sol, sans frontières et sans barrières, aux dimensions de
l’Europe entière, où les cultures et les identités ne comptent évidemment pas, chaque
individu est renvoyé à sa fonction de producteur-consommateur, échangeable,
substituable, remplaçable.
Quant à la fragilisation de la SNCF, qu’est-ce
sinon que de vouloir casser davantage ce qui restait de force au mouvement
ouvrier dans ses bastions historiques des transports, et le signe de la reprise
en main assez sévère, au sens de Karl Polanyi, de tout ceux qui ne marchent pas
droit et au pas cadencé, en regard des incertitudes et des risques
d’effondrement d’une économie de marchés mondialisée de plus en plus fragile ?