mercredi 8 février 2017

Trump III: Le blues noir du petit mâle blanc occidental

Investiture présidentielle de Donald Trump (III)
(Article du 15 janvier 2017) 

Dis-moi comment tu meurs, je te dirai comment tu as vécu. On sait depuis l’ouvrage que Durkheim lui a consacré en 1897 que le suicide se comprend dans sa dimension sociale, au regard de l’anomie dont souffre l’individu moderne, seul, sans lien social, quand il se voit coupé des appartenances qui donnait, si ce n’est un sens à sa vie, au moins un cadre solidaire qui le sécurisait (famille, voisinage, travail, église, syndicat, parti, nation) lui permettant de surmonter ses échecs personnels, le chômage, l’absence d’argent, une séparation, le vieillissement.
On ne se suicide pas parmi les peuples sauvages, et très peu dans les sociétés traditionnelles, mais bien plus dans les villes anonymes, et encore davantage dans les campagnes désertifiées, et énormément aux Etats-Unis ou en France ces derniers temps. Encore que le suicide ne soit que la partie émergée de l’iceberg de la désespérance sociale. Mourir de cirrhose ou d’un cancer des poumons par abus d’alcool ou de tabac, d’une overdose de produit narcotique ou médicamenteux, des suites d’une maladie mentale causée par la dépression, dans un accident où l’on a voulu se faire peur pour oublier ses problèmes, ou par balle ou arme blanche dans telle ou telle guerre des gang jouée comme au cinéma, sont aussi des formes de suicides, indirects et par procuration. Il n’est jusqu’à se faire djihadiste ou de partir pour la Syrie qui ne ressortent d’une envie suicidaire d’en finir avec la vie.
L’année dernière, dans le New York Times, quand les journalistes et éditorialistes n’étaient pas occupés à dire toute l’horreur que leur inspirait Donald Trump, il nous a été donné à lire des petits bijoux d’articles roboratifs à propos de ces Américains qui souffrent tant et tant depuis qu’ils sont les sacrifiés de la globalisation et des politiques d’affirmative action qu’ils ont fini par le dire avec leurs pieds. Il ne fallait pas être grand clerc pour entrevoir que la middle-America très mécontente entendrait faire souffler un grand souffle de changement sur les élections. Elle le fit à gauche, au travers de Bernie Sanders, et à droite au travers de Donald Trump. Il aura fallu le résultat réel sorti des urnes pour que le voile d’ignorance qui aveuglait les commentateurs se déchire et que par la même occasion le présent texte puisse trouver preneur. A remarquer que l’on trouve de tout dans le NYT. C’est l’avantage d’un très grand journal avec de nombreux contributeurs, et des journalistes qui vont encore, parfois, sur le terrain pour faire leur métier. Il faut juste trier.
·        Cette surmortalité que l’on n’a pas voulu voir
C’est une étude [1] d’Anne Case et Angus Deaton parue dans le PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) de décembre 2015 qui a attiré l’attention des journalistes du NYT. Ces articles [2] nous apprennent que les blancs caucasiens meurent prématurément, comme jamais auparavant aux États-Unis, hommes et femmes indistinctement, dans presque toutes les classes d’âge et les catégories sociales, mais plus particulièrement chez les jeunes adultes et les hommes à faible qualification, au point que le taux de mortalité global a sensiblement augmenté, que les suicides sont au plus haut depuis 30 ans, que les overdoses médicamenteuses ont explosées et que la surmortalité des 20-30 ans atteint les taux records des débuts de l’épidémie de SIDA.
Un autre article [3] nous apprend que les blancs sont aussi plus touchés qu’auparavant par les mises en incarcération eu égard aux trafics de stupéfiants et de médicaments auxquels ils se livrent, par addiction autant que par désœuvrement, parce qu’on est infiniment plus sévères dans les comtés ruraux où ils habitent que dans les grandes villes. 
Depuis 1999, le taux de mortalité s’est sensiblement accru pour les blancs non hispaniques, surtout d’âge moyen, en raison du très fort accroissement des morts par empoisonnement (overdose narcotique ou médicamenteuse), par cancer du foie (alcoolisme) et par suicides. Les noirs et hispaniques ont vu leur taux de mortalité baisser régulièrement.
Le phénomène le plus spectaculaire est l’explosion du nombre d’overdoses médicamenteuses, au point que cela en est devenu un problème de santé publique, la responsabilité des administrations publiques et des laboratoires pharmaceutiques dans la mise en circulation de médicaments à base de d'opiacés, dix fois plus actifs que l’héroïne, étant criantes. Ce sont les patients qui réclament des antidouleurs toujours plus puissants parce que les antalgiques ne font plus effet. La résistance à la douleur s’est détériorée, tout comme l’acceptation de souffrir. Nous ne sommes plus capables de l’endurer comme nos grands-parents dont les corps soumis aux privations ou aux durs travaux manuels y étaient habitués dès le jeune âge. Les douleurs peuvent aussi avoir augmenté d’intensité, avec des causes nouvelles pour les générations arrivées à la vieillesse et ayant subi la détérioration de l’environnement, l’industrialisation de l’agriculture, la sédentarité, les addictions.
Les journaux n’ont pas fait leurs grands titres sur ces informations. La mort de Prince par abus de médicaments ou celle de Michael Jackson en 2009 pour les mêmes raisons, ou de Amy Winehouse en 2011 par coma éthylique, ont fait les Unes mais pas la mort de ceux que l’on ne veut pas voir, ces gagnants de l’Histoire devenus des perdants. Le gros des suicidés et des accidentés de la vie ne correspondent plus au profil qui nous était familier depuis des décennies. Ce ne sont plus les noirs ou les autres minorités qui seraient les sacrifiés du rêve américain à la sauce globalisée, comme l’épidémie de crack, celle du sida ou la violence des  gangs nous avaient habitué.
·        La surmortalité des blancs, signe de désespérance sociale et de déclassement
Ces statistiques, trop peu commentées, auraient dû agir comme une révélation car elles nous informent sur trois points capitaux : l’accélération de la désespérance sociale à partir de 1999 quand commence la révolution Internet, le passage à une économie immatérielle et l’effondrement de l’emploi industriel au profit des pays émergents ; l’ampleur de cette désespérance mesurée, même imparfaitement, par la surmortalité, et qui n’est pas cantonnée aux anciens grands centres industriels ou aux catégories ouvrières ; sa prévalence sur le travailleur blanc peu éduqué, parce qu’il est le grand perdant de la globalisation ainsi que de l’accession à de meilleurs emplois et à une plus grande richesse pour les femmes du fait de leur émancipation, et pour les minorités ethniques du fait des privilèges d’affirmative action et du changement de regard à leur égard.
Les enquêtes d’opinion confirment le pessimisme des blancs (47 % à estimer que leur situation s’est améliorée en 2014, contre 64 % en 2000) et l’optimisme relatif des noirs à 67 % et des hispaniques à 68 %. Ce qui ne veut pas dire que la condition économique et sociale des blancs soit devenue inférieure à celle des autres communautés ethniques. Il faut tenir compte de ce que Robert Merton nomme le groupe de référence: la réussite s’apprécie par rapport à celle du groupe dont on est membre et surtout à la réussite de ses propres parents au même âge.
Aujourd’hui, on se suicide donc toujours autant, et même plus, mais à des âges différents et avec d’autres moyens, mais toujours là où se posent des problèmes aigus de cohésion sociale ou d’identité collective ou personnelle. Le suicide additionné des morts par addictions ou conduites à risque -par overdose de produits stupéfiants, ou de médicaments, et, par accidents- est un bon critère de l’état moral d’une nation et de son organisation collective et de ses services publics.
Le phénomène de déclassement accéléré des classes populaires n’est pas nouveau en soi, ni en Amérique ni en France, et pas davantage la crise de l’identité de l’homme blanc occidental. Louis Chauvel avait analysé pour la France dans un livre remarqué (Le Destin des générations, 1998) le phénomène de déclassement d’une cohorte générationnelle à l’autre, des fils par rapport aux pères, et Christophe Guilluy a établi pour la France les bases de la dispersion spatiale de ce déclassement dans le péri-urbain. Pascal Bruckner avait aussi très tôt mis en relief tant la masochisme de la repentance occidentale que le sanglot de l’homme blanc malmené dans son identité.
En fait le déclassement de la classe moyenne inférieure -ouvrière, populaire et blanche- et de sa re-prolétarisation à 30 ans de distance, date des débuts de la nouvelle grande phase de mondialisation libérale commencée dans les années 70 -le salaire horaire moyen du travailleur sans diplôme du supérieur a baissé de 14 % entre 1973 et 2012 aux Etats-Unis- et de la mise en place d’un nouveau régime de production (activités intellectuelles et industries de communication), correspondant à la nouvelle révolution technologique, à une nouvelle instance de légitimation idéologique de type libérale-libertaire et d’une nouvelle classe dirigeante, imparfaitement appelée bourgeois-bohème.
Christopher Lasch [4] aux Etats-Unis et Jean-Claude Michéa en France s’en firent très tôt l’écho tout comme Marcel Gauchet dans ses deux articles séminaux de 1980 (Les droits de l’homme ne sont pas une politique) et de 1990 (Les mauvaises surprises d’une oubliée: la lutte des classes [5]), le second article dont fut tiré le terme de fracture sociale pendant la campagne présidentielle de 1995. La Grande Bretagne a présenté le même phénomène de désindustrialisation et de prolétarisation, très bien illustré dans la littérature ou au cinéma avec les films de Kean Loach ou Dany Boyle. Le phénomène n’en finit pas de produire ses effets et autant dire que tant le Brexit que l’élection de Trump devraient être tout sauf des surprises. Ils ont été plus qu’annoncés voilà plus de trente ans !
Les statistiques de surmortalité sont les symptômes cliniques d’une maladie sociale qui couve et que l’on ne peut encore diagnostiquer. C’est la preuve formelle du déclassement à large échelle et rapide d’une part importante de la population, là où les chiffres d’emplois ou sur les inégalités de revenus sont difficiles à interpréter, chaque révolution industrielle produisant des effets de déversement (le remplacement des vieux emplois déqualifiés par d’autres dans les nouveaux secteurs d’activité- effets dont l’ampleur pour notre époque seraient bien moindres) mais en souffrance physique et mentale, la souffrance des blancs principalement.
Ceux qui forment encore une majorité ethnique, mais plus pour trop longtemps, se sentant dépossédés de la Great America que leurs ancêtres avaient fondée, et brisés dans leur corps et dans leur tête, ont porté Donald Trump au pouvoir pour qu’il leur restitue ce qu’ils estiment être leur dû.
·        Suicides et mal de vivre lors de la première mondialisation libérale (1885-1914)
Les suicidés de Durkheim, à la fin du 19ème siècle, ressortaient d’une société en pleine phase de sortie de la religion, au moment de la première grande phase de mondialisation libérale quand la vie mentale et sociale, de la naissance à la mort ne se trouvait déjà plus sous l’emprise exclusive de la croyance au divin, ou du principe holiste, et que les solidarités de proximité fonctionnaient déjà moins. Les idéologies se substitueront à la religion chrétienne, dans sa double dimension holistique et messianique, pour tenter d’effacer le schisme béant entre les aspirations individuelles et les nécessités collectives, entre le Moi et le Tout, explosant bientôt dans les formes paroxystiques du totalitarisme. Et l’État-providence apparu timidement en Allemagne et en France à la même époque prendra peu à peu la place des solidarités. Bien imparfaitement cependant, l’absurdité de la condition humaine, sans le recours de la superstition ou du divin, et avec le poids de la solitude, demeurant plus que jamais.
De là la tristesse mélancolique ou le désespoir noir, les dépressions et les maladies mentales soignées à coup de cures psychiatrique et psychanalytique, de médicaments et de camisoles chimiques. Certains font passer leur mal de vivre en s’étourdissant de plaisirs, au café ou au bordel, et en se réfugiant dans les paradis artificiels –alcool, opium, cocaïne- dans le Paris, Vienne et Berlin de la Belle Époque et des Années folles. D’autres trouvent leur salut dans le mysticisme et tout ce qui peut faire office de spiritualisme, dans les sciences, les arts ou la politique même. L’occultisme, le spiritisme, l’illuminisme sont à la mode, les plus grands esprits s’y adonnent, et le catholicisme lui-même retrouve une nouvelle jeunesse, au travers d’une croyance plus intériorisée, érémitique ou extatique, dont témoignent les expériences de Thérèse de Lisieux, du curé d’Ars et du père de Foucauld, ou les innombrables conversions d’esprits éclairés tels que Huysmans, Claudel ou Chesterton, dont beaucoup d’anciens débauchés, itinéraire illustré par Huysmans lui-même dans ses deux romans À Rebours et En route.
·        Suicides, addictions, conduites à risque lors de la 2ème mondialisation libérale (1975-
Ce tableau de l’époque qui va de 1880 à 1914, interrompue brutalement par les horreurs de la guerre, avec un surgeon entre 1920 et 1929, une sorte d’ultime exutoire avant la nouvelle plongée dans le bain de sang rédempteur, ressemble à bien des égards à notre monde de la deuxième mondialisation libérale qui a commencée en 1975 et dont on ne sait comment elle se pourra finir, les mêmes causes produisant les mêmes effets, peu ou prou: effondrement des anciennes incorporations et appartenances, déracinement et dés-identification, hiatus irréconciliable entre l’individu et le tout social sauf dans l’abandon au fusionnel et à l’irrationnel. Les palliatifs trouvés, comme la médecine du même nom, sont les mêmes: l'amusement forcé et la fête obligée, dans des formes renouvelées de divertissement abrutissants ou de débauche, et la voix mystico-religieuse, à la différence considérable prêt que le christianisme, et surtout le catholicisme, aux fondements de notre civilisation, n’en sont pas cette fois les bénéficiaires.
Nos façons de faire la fête ou de s’étourdir de plaisir à base de musique, de danse et d’alcool, et de sexe plus ou moins tarifé, sont les mêmes, en moins drôle et en moins gai. Philippe Muray a dit là-dessus des choses définitives. Les drogues du nirvana ou de l’oubli sont plus que jamais là, mais en s’étoffant de produits de synthèse aux effets inédits, et en moins chers pour gagner de nouvelles clientèles. Le champ des dérivatifs au mal de vivre, ou plus généralement à l’ennui, s’est aussi très élargi à un tout ensemble d’addictions nouvelles.
Si l’usage délibéré de produits toxiques se retrouve partout, même chez les peuples sauvages, les addictions ont pris à l’âge moderne une dimension pathologique inédite. N’importe qui se trouve accro, qui aux produits stupéfiants ou aux médicaments, qui aux jeux de hasard ou aux jeux vidéo, qui à Internet et à ses réseaux sociaux ou à l’indétrônable télévision, qui à ces bonnes vieilles dépendances (alcool, nourriture, tabac, sexualité débridée) qui n’ont pas lâchées prises et à qui on doit nos lots de maladies de civilisation, certaines qualifiées de pandémies vu leur extension.
·        Conduites à risque, accidents et violence morbide
De même que si les conduites à risque paraissent ontologiques à l’espèce humaine, et même à certaines espèces animales, elles avaient une fonction précise, en lien avec la procréation, les moyens de la séduction ou ceux de la parade nuptiale, comme l’explique Jared Diamond dans The Chird Chimpanzee et non dans ce vide symbolique, sans fonction de représentation, consistant à jouer avec le danger, et avec sa vie ou avec sa santé, dans des formes de narcissisme morbide, dans les sports extrêmes ou l’usage d’engins mécanique, voire la délinquance violente et armée, sans nécessité anthropologique particulière ou utilité sociale pour les justifier.
Les années 1980, par exemple, lancèrent les modes de l’extrême et du pushing the limits en montagne ou dans les sports aériens. Le Grand Bleu (1988) de Luc Besson rendit bien compte, dans le milieu de la plongée profonde en apnée, de la quête de l’inaccessible et du record idiot, et de l’autisme ou de l’incompréhension les uns pour les autres, et de la souffrance à vivre dans ce milieu là. Dans un monde où tout a déjà été exploré, et où l’aventure se vend au coin du chemin, difficile de se distinguer par des exploits véritables, le propos de Musset –nés trop tard dans un monde trop vieux- étant plus que jamais d’actualité, à chaque génération nouvelle qui vient et qui se trouve emportée dans le flot ininterrompu du changement.
Ces modes auront été une reprise des années 1950 quand on se faisait peur à bord de sa Jaguar ou de sa Ford Mustang (de Sagan à James Dean et Boris Vian), en rejouant là une sorte d’ordalie pour non-croyants, le jugement de Dieu par le feu ou par l’eau bien connu des chrétiens, ordalie pas si différente que celle qui consistait en ascèse érémitique ou monastique, en tourments physiques, à s’isoler dans le désert comme le père de Foucauld ou à se mettre à la merci des éléments comme dans toute une littérature christique apologétique du siècle précédent. La surmortalité automobile dans certains pays, en France par exemple, atteste de comportements à risque qui ont longtemps perduré. De même que le danger de jouer avec les maladies sexuelles et la contamination au SIDA à la fin du 20ème siècle rappellent les risques encourus avec la syphilis, dans la fréquentation des prostituées, dont toute la littérature du 19ème siècle, et les littérateurs eux-mêmes, et pour cause, ont été marqués avant l’arrivée de la pénicilline.
Et même la religion a retrouvé des adeptes, quoique pas toutes les religions à égalité et pas de la même façon ! Le pentecôtisme et surtout l’islamisme ont la cote, avec une puissance démultipliée par rapport au renouveau catholique de jadis : les adeptes se comptent par millions et la détermination des nouveaux embrigadés, Muslims-reborn ou convertis d’autres religions, le simplisme et l’archaïsme des rites et des dogmes qu’ils leur sont donnés à suivre, et par les dimensions de l’entreprise de conquête politique et idéologique au moyen d’une foi toute extériorisée, pour ne pas dire hystérisée, là où le mysticisme catholique visait à la plénitude intérieure et à la charité pour son prochain. Les convertis de l’État islamique se font djihadiste par foi islamiste comme on se faisait brigadiste par foi communiste en Espagne.
·        Ennui, anomie, ordalie, acédie
Phénomène collectif, comme l’a montré Durkheim, le suicide, et les conduites à risque, et la violence irrationnelle sont un symptôme de l’état des liens sociaux, de l’insertion ou de la réussite relative des groupes les uns par rapport aux autres, de l’anomie. Savoir quels groupes ethniques elles touchent en priorité devient nécessaires dans les sociétés multiculturelles. Elles sont un indicateur de l’état mental des habitants d’un pays, du rapport entre individu et social revu sous les couleurs de l’identité moderne : c’est l’adéquation, ou l’absence de hiatus, entre identité collective et identités personnelles qui témoigne de la solidité d’une société, et de sa pérennité.
Les zones à faible densité de population ou à l’habitat clairsemé (nord de la Scandinavie ou du Québec, Alpes autrichiennes) y sont plus sujettes et les sociétés religieuses ou celles ayant un fort quadrillage social (partis et syndicats en Angleterre ou églises et familles dans les pays latins) le sont moins. Pour les mêmes raisons, la mise en œuvre par l’État de politiques efficaces de prévention, ou de répression, fait diminuer sensiblement le nombre de morts prématurées, les suicides en Allemagne ou les accidents de circulation en France par exemple.
Pour les expliquer, même si ce n’est pas l’objet de cet article, à l’ennui et à l’ordalie déjà cités, et à la pulsion de mort (de type freudien), il faut ajouter l’aspiration à l’invisible ou au surnaturel, et aussi le sentiment de tristesse et de néant qui rend l’existence vide et inutile, ce que les Pères de l’ Église baptisèrent du nom d’acédie, qualifié de péché capital, car elle suscite un dérèglement des sens ou le besoin de mettre un terme prématuré à notre passage dans cette vallée de larmes.
Suicides, morts par addiction, morts violentes par accidents ou par violence armes, intuitivement, on se dit que les pays confrontés à des difficultés ou des crises de leur modèle ne font pas bonne figure. Les Etats-Unis et la France, par exemple. Encore que les statistiques sous estiment le problème. Il faudrait comptabiliser le nombre de SDF, et celui des prisonniers de longue durée, et des personnes souffrant de maladies mentales non létales qui relèvent aussi de tendances autodestructrices ou morbides, quand bien même de mort lente, comme dirait Brassens, parce qu’elles sont aussi le signe de la force ou de la faiblesse du lien social. La France est championne du monde dans la consommation d’antidépresseurs, et aux Etats-Unis le taux d’incarcération a explosé. À noter qu’on aurait là réunis tout un ensemble de données très intéressantes pour établir un classement ou un tableau de bord de la détresse sociale comparée d’un pays à l’autre. Curieusement aucun organisme ni public ni privé ne s’y est risqué, et pour cause.




[1] Rising Morbidity and mortality in midlife among white non-Hispanic Americans in the 21st century
[2] Drug Overdoses Propel Rise in Mortality Rates of Young Whites (16.01.2016), When Addiction Has a White Face (9.02.2016), Why Are White Death Rates Rising? (22.02.2016), US Suicide Rates surges to a 30 year high (22.04.2016).
 [3] This small Indiana county sends more people to prison than San Francisco and Durham, N.C., combined (16.10.2016)
[4] The Culture of Narcissism. American Life in an Age of Diminishing Expectations (1979), The Revolt of the Elites and the Betrayal of Democracy (1996).
[5] Il vaut la peine d’en rappeler certaines phrases qui n’ont rien perdu de leur actualité, et de leur mordant, presque 20 ans après. Que les politiques français, surtout à gauche, n’en aient pas pris la mesure est tout simplement consternant. Sur le peuple abandonné : « C’est bien du sentiment d’abandon et d’exclusion d’un peuple que le Front National prospère. Est peuple, électoralement parlant, qui se sent privé de représentation et dépourvu de prise sur la décision politique et qui éprouve sa légitimité par la négative ». Ou sur le cache-sexe (ou cache-misère) de l’antiracisme : « Les secours spirituels de l’antiracisme tombent à pic pour faire oublier l’abandon à peu près complet des buts et des moyens du socialisme classique auquel le malheur des temps oblige à se résoudre. Il n’a pas fallu moins que ce providentiel génie du mal pour que le parti du bien parvienne à dissimuler qu’il était nu… L’antiracisme a pris à point nommé la relève d’un antifascisme bien fatigué. La dénonciation se met à fonctionner comme incitation ».

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