mardi 4 septembre 2018

Flixbus, l'Uber du transport low-cost par autocar

Les cars Macron: les Allemands de Flixbus leur disent merci ! (I)


Chauffeurs irascibles, impolis et mal-embouchés, ne parlant pas un mot de français, et guère plus d’anglais ou d’allemand. Pagaille indescriptible en des arrêts au petit bonheur la chance pas adaptés pour recevoir une telle noria d’autocars. Temps de pause non respectés, retards, conduite aléatoire, accidents. Toilettes bouchées ou infâmes ou inutilisables sur fond de Wifi morte ou faiblarde. Etuve ou frigidaire selon le bon vouloir de la climatisation ou de celui qui s’en sert. Enfin, le meilleur, la gare des départs ou des arrivées, sis à Paris-Bercy France, vétuste, étriquée, dangereuse, très loin des normes de sécurité ou de confort minimales, une zone de non droit et un vrai coupe-gorge avec le parc mitoyen sinistre qu’il faut traverser pour y pénétrer, gare routière où jamais vous ne verrez un policier ou quoi que ce soit qui ressemble à un agent de sécurité ! Comme quoi les terroristes n’ont guère d’imagination pas plus que les autorités de l’Etat sensées nous protéger. Il est vrai que ni les uns ni les autres ne fréquentent ce genre d’endroit destiné au quart-monde de ceux qui ne peuvent se payer le train. Bienvenue chez Flixbus ou plutôt Willkommen bei Flixbus, l’Uber du transport par autocar ! Et bienvenue au Paris d’Hidalgo, cette vitrine des beautés de la France et du savoir-faire à la française !
On peut n’avoir pas voté Macron et reconnaitre à l’exécutif gouvernemental le mérite de faire ce qu’il dit et de manifester un courage politique dont le personnel politique ne nous avait plus habitué depuis 30 ans. On peut aussi être un libéral ou un libéral-conservateur au sens de Tocqueville et de Raymond Aron tout en désapprouvant la politique économique et sociale d’Emmanuel Macron, marquée au sceau du fétichisme du marché, sans discernement sur les modalités de libéralisation d’un secteur, vision de court-terme sans considérer les dégâts collatéraux et les effets politiques et sociaux.
Une décision de dérégulation est bonne ou mauvaise, dépendamment des circonstances et du moment : libéraliser le marché du travail en 2017 quand nos partenaires commerciaux, États-Unis et Grande Bretagne en tête, prennent un tournant souverainiste ou livrer la SNCF aux feux de la concurrence et à la loi d'airain des profits quand les circonstances ne s’y prêtent pas. Un exemple topique à l’appui avec la libéralisation du secteur des transports par autocar sur longues distance.
La décision fut prise à un mauvais moment pour les intérêts nationaux, pour autant que l’intérêt national eût compté, et non le fétiche de la dérèglementation. Cette loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, voté avec le 49.3 que certains commentateurs enthousiastes ont vu comme le signe de l’audace et de la modernité, aura réussi le tour de force, en 3 ans à peine, d’affaiblir un peu plus la SNCF en même temps que d’offrir clef en main un marché au géant allemand du secteur. Baptisés du nom du ministre qui les porta sur les fronts baptismaux, les cars Macron risquent d’être un des boulets à trainer pour le chantre du progressisme mercantile et du modernisme marchand quand les résultats de la dérégulation brutale et sans préparation ne seront pas au rendez-vous, entre autres les 22 000 créations d’emplois espérées.
Dans le futur, le cas d’espèce sera peut-être étudié, soit en école de commerce soit dans une école de l’administration, comme ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, selon que l’on se destine au service des affaires ou au service de l’État. Dans le transport par autocar, comme pour le reste, l’Union européenne et les mercenaires qui la servent, nous ont mis à l’heure allemande.

·       Flixbus, un modèle d’affaire au succès imparable

Le principal bénéficiaire de cette dérèglementation aura été la compagnie Flixbus, sis à Munich, capitale économique de l’Allemagne, une start-up au développement foudroyant. Ils étaient trois fondateurs de moins de 30 ans, deux consultants venus de la firme Boston Consulting et un informaticien qui travaillait chez Microsoft. Ça s’appelait Gobus et on était en 2011, quand le marché allemand n’était encore pas libéralisé mais les trois petits malins avaient noté que le projet figurait dans le contrat de coalition CDU-SPD. Aussi à la date fatidique, au 1er janvier 2013, Flixbus était prête et lançait ses premières lignes dès février 2013. En un an, son réseau couvrait toute l’Allemagne et étendait déjà ses tentacules dans les pays limitrophes.
Flixbus est une success story comme on les aime dans la nouvelle économie à base de NTI, y compris dans les secteurs traditionnels: créateurs innovants, business angels et investisseurs avisés, concurrents ratiboisés, sous-traitance maximale, prix imbattables, couts fixes réduits ou à la charge de la collectivité, dématérialisation réduisant couts administratifs et commerciaux et pour finir, une belle position monopolistique gage d’énormes profits pour le futur; mais avec les ingrédients propres au style allemand des affaires : discrétion des dirigeants, contrôle du capital, confidentialité des résultats, prudence dans les diversifications.
Flixbus a écrasé le marché allemand en 2 ans seulement, avalant ses concurrents et défaisant l’incontournable Deutsche Bahn qui s’était pourtant préparée à l’avance à la fin de son monopole (vieux de 70 ans) sur les longues distances par le rail et la route. En 4 ans, outre l’Allemagne (90 à 95 % du marché) Flixbus se retrouve en position ultra dominante sur l’ensemble des marchés limitrophes, sauf en Suisse (qui ne s’en laisse pas compter, et pour cause), un monopole privé à qui rien ne fait peur puisqu’il a attaqué l’ancien monopole public sur son cœur de métier en lançant Flixtrain en mars 2018. En mai 2018 Flixbus dessert 1400 destinations dans 28 pays. Le pire c’est que Flixbus et la Deutsche Bahn étant assez complémentaires, ce sont les concurrents européens, Deutschland über alles oblige, qui en feront les frais.
Fort de l’appui financier des investisseurs entrés à son capital en 2017, Flixbus a pris pied en mai 2018 sur le marché étatsunien où un développement époustouflant de 1000 destinations est prévu d’ici la fin de l’année. Les vénérables Greyhound et Stagecoach bien connus des familiers des voyages aux États-Unis risquent d’être vite bousculés dans un secteur resté vieillot, faiblement productif et peu rentable, comme tout ce qui ressort de la vieille économie dans ce pays.

·       L’ogre bavarois engage la bataille de France

La libéralisation du marché français de 2015 et sa montée en puissance progressive jusqu’en 2017 arrivèrent à point nommé pour l’ogre bavarois, quand la bataille d’Allemagne venait d’être gagnée, en lui offrant sur un plateau un marché dans les limbes, avec l’énorme avantage compétitif tiré de sa position dominante, d’autant que l’effet volume est très important pour les coûts d’exploitation (qui sont identiques que le bus soit plein ou à moitié vide) ainsi que l’effet de taille pour l’offre commerciale, donc le cout d’entrée sur le marché est très élevé pour les nouveaux concurrents.
Fort de son modèle de développement peu capitalistique, de sa politique commerciale agressive, de ses prix imbattables et surtout avec l’atout de la position centrale de l’Allemagne au centre du réseau autoroutier européen, avec ses lignes sur très longue distance qui permettent des économies d’échelle, et en jouant à fond le jeu des différentiels de coûts salariaux et de prix de marché entre l’est et l’ouest de l’Europe, Flixbus va écraser le marché français, comme les autres.
Les bus verts mâtinés de blanc et fléchés d’orange de Flixbus sont déjà familiers aux Français. Le cannibale de Bavière ne va faire qu’une bouchée de ses deux concurrents français, Ouibus, filiale de la SNCF, et Transdev, filiale de la Caisse des dépôts et de Veolia déjà marginalisée. En 2017, les trois compagnies détenaient encore un tiers du marché chacune. Plus pour longtemps. Erreurs stratégiques oblige (autocars à l’achat et trop luxueux, et chauffeurs « maisons » généreusement rémunérés) de la part de ses dirigeants, la SNCF a épongé les énormes déficits de sa filiale Ouibus pour finir par se conformer au modèle économique de son concurrent. Mais trop tard. Elle ne défend plus les parts de marché qui lui restent qu’en bradant ses prix et en vendant à perte. La SNCF sera un peu plus en difficulté et on en imputera encore une fois la faute aux cheminots. Inutile de dire que la grève à la SNCF a apporté à Flixbus un énorme surcroit d’activité.
Rappelons-le, les problèmes de la SNCF tiennent pour l’essentiel à sa dette faramineuse liée à la construction du réseau à grande vitesse (que l’État reprend en partie à son compte en échange de la semi-privatisation de l’entreprise), et aux choix stratégiques imbéciles (la très grande vitesse sur de nouvelles lignes plutôt que la grande vitesse en aménageant les lignes existantes, les interconnections et les trains urbains et de proximité) faits depuis 30 ans par les polytechniciens et énarques qui la dirigent, par les ministres des transports qui traçaient des tangentes sur la carte de France en se croyant encore aux temps bénis de la planification et par les élus locaux qui firent des pieds et des mains pour avoir leur gare TGV dans leur ville ou leurs champs de betteraves. Outre que si la SNCF n’est pas compétitive face à la plupart de ses concurrents étrangers, et qu’elle le sera encore moins, puisque le transport par autocar va lui prendre des parts de marché et que la concurrence sur le rail va s’activer, ce n’est pas à cause des avantages des cheminots mais parce que les couts en France sont grevés par une protection sociale qui absorbe un tiers de la richesse nationale.
Les principaux perdants à cette libéralisation brutale, outre la SNCF, est le contribuable français qui a financé et continuera de financer les charges de la dette du réseau ferré, mais aussi notre balance commerciale puisque les recettes partent à l’étranger, ainsi que les impôts et les cotisations sociales qui ne sont plus payés sur des salaires et des profits qui sont également versés ailleurs et surtout ces emplois en France, occupés par des Français, qui ne seront pas créés ou qui disparaitront avec les entreprises que Flixbus va démantibuler.

·       Flixbus ou l’Uber du transport low-cost par autocar

Flixbus est l’Uber du transport de voyageur par autocar : une marque, une application web, la sous-traitance pour les investissements (le facteur capital) et le personnel (le facteur travail), en fait tout ce qui coute de l’argent ou créé des emmerdements (droit du travail, syndicats), et le contrôle des transactions financières entre clients et prestataires de transports sur lesquelles ils prélèvent la meilleure part.
Les bus appartiennent à des sous-traitants qui supportent l’intégralité du risque capitalistique et financier, et même du risque commercial puisque Flixbus leur reverse une somme fixe par voyageur, sans garantie de couverture des coûts fixes. Les chauffeurs relèvent aussi des sous-traitants, qui sont donc responsables de l’embauche et de la qualification de leurs employés, quand bien même ils roulent sous l’enseigne Flixbus et qu’ils ne sont pas payés par elle, ainsi que des conditions de travail ou du respect de la règlementation sur les temps de conduite des chauffeurs routiers.  
C’est un système de sous-traitance, ou d‘exploitation, comme les Allemands les adorent depuis l’intégration de l’Europe centrale à l’espace vital de l’économie allemande : les travailleurs à bas coûts sont à l’est, les marchés lucratifs à l’ouest, et les profits entre les deux sont pour eux. Mieux que Uber en termes d’image car les chauffeurs et les bus portant les couleurs de Flixbus passent pour en être partie prenante et ne faire qu’un avec elle.
Cerise sur le gâteau, contrairement aux compagnies de chemin de fer qui paient une redevance pour le réseau ferré et les gares ferroviaires, Flixbus et les autres concurrents du transport par autocars ne participent pas au coût des infrastructures routières (en Allemagne seuls les camions paient la vignette autoroutière) ni à celui des gares routières, ou pas encore, pour la bonne raison que ces gares n’existent pas et qu’en guise de gare routière c’est la place de la Gare qui en fait office, là où les cars longue distance et les autobus de ville se partagent un espace resserré dans la plus grande confusion.



Candide dans le meilleur des mondes à la Flixbus  

Les cars Macron: les Allemands de Flixbus leur disent merci ! (II)


Il n’est pas inintéressant que le commentateur puisse partager son expérience concrète sur le sujet qu’il traite. Il se trouve que j’utilise les services de Flixbus depuis six mois, à raison d’une à deux fois par semaine, entre mon domicile d’Heidelberg et mon emploi dans un ministère à Paris où une décision d’affectation aussi inopinée que subie m’a fait goûter aux délices pendulaires du travailleur nomade, à raison de 7 à 9 heures par trajet, qui plus est effectué de nuit pour ne pas perdre deux journées précieuses pour le repos du guerrier dans les transports routiers.

  •        Candide prend le bus

Je prendrais volontiers le rôle du Candide dans le meilleur des mondes. Le meilleur des mondes capitaliste et libéral, et du transport par autocar 2.0 à coups de nouvelles technologies, de sous-traitance et de main d’œuvre substituable, c’est Flixbus, firme conquérante, confiante en elle, sûre de son bon droit, si typiquement allemande. On se souvient que le meilleur des mondes de Thunder-ten-tronck dans le conte de Voltaire c’est Pangloss qui le représente. Pangloss est le double du philosophe allemand Leibnitz. Caricaturé par Voltaire sa pensée n’en incarne pas moins une certaine permanence allemande de s’accommoder avec les choses. Il aura voulu se venger un peu de ce que Frédéric II de Prusse lui faisait endurer, un peu comme Mme Merkel aujourd’hui avec les Français : il nous faut la supporter et parfois, nous lui retournons les avanies qu’elle nous cause.
J’ai utilisé la ligne 109 qui relie Prague à Paris, avec arrêts à Nuremberg, Heidelberg et Mannheim, départ de Heidelberg le dimanche soir à minuit et arrivée théorique à Paris à 6H45, en fait 8H30 à cause des embouteillages à l’entrée de Paris et retour le vendredi à 23 H pour arriver le lendemain à 5H45. Le prix, entre 25,99 € quand le bus est à moitié vide (et que, oh délice, deux sièges s’offre au passager pour qu’il tente de dormir un peu) et jusqu’à 48,99 € quand le bus est presque plein (à la différence du train, le prix du billet augmente non en fonction de la proximité de la date mais au fur et à mesure que le bus se remplit, ce qui assure des profits colossaux quand le bus est plein comme un œuf et le confort minimal pour les passagers !). Les prix ont augmenté de 10 % en juin outre l’instauration de frais de 2 € par transaction. Flixbus actionne désormais la pompe à profits !
Par comparaison, avec la Deutsche Bahn et la SNCF les billets coutent de deux à cinq fois plus, hors les Prems à 39 €, pour un temps de trajet de 4 à 5 H avec un seul changement). La DB est 30 % moins chère que la SNCF, et l’ICE est beaucoup plus confortable, l’espace est plus grand et la clientèle y est plus civilisée que dans les TGV mal conçus, bondés, décatis et mal fréquentés. D’ou l’on voit que la SNCF n’est pas compétitive, et non pas spécifiquement à cause de ses cheminots, mais à l’instar de la plupart des entreprises françaises, parce que ses couts sont plus hauts ou sa productivité trop faible.

  •  Le libéralisme pur et dur et sans fioritures de Flixbus

Sur la ligne Prague-Paris, les bus sont à double étage et les chauffeurs sont à deux, ils sont sensés se relayer toutes les 6 heures. Ils sont tous tchèques, différence de salaires entre la France et la République tchèque oblige. Ils baragouinent parfois un peu allemand. Sur les autres lignes internationales au départ de Paris, vers Amsterdam, Francfort ou Londres, pareil, je n’ai jamais entendu de chauffeur français. Du reste les bus sont tous immatriculés à l’étranger sauf ceux reliant Paris à une ville de province. C’est la préférence étrangère à tous les étages… Pire, pas une seule fois, en 6 mois je n’ai entendu un mot de français dans le message préenregistré ou les explications au micro du chauffeur qui donne les consignes de sécurité, comme de boucler sa ceinture, ou qui annonce le prochain arrêt. La clause Molière à Flixbus, on ne connait pas !
En une trentaine de trajets, pas une fois je n’ai vu non plus un contrôle aux frontières ou un passage de policiers. Cela est pourtant courant dans le train. Le travail de police incombe aux chauffeurs qui demandent aux passagers de présenter une pièce d’identité, sous peine de ne pouvoir embarquer. Le contrôle est superficiel, ni le nom ni la photo ne pouvant être vérifiés. Les clandestins, les trafiquants, les irréguliers peuvent s’en donner à cœur joie avec les frontières passoires de Schengen.
La clientèle est de quatre sortes: les routards visitant Prague ou Paris, les étudiants sur une ligne qui a pour particularité de relier de grandes villes universitaires entre elles, des travailleurs originaires de l’est de l’Europe qui vont travailler en France ou en Angleterre, ou qui en reviennent, et des migrants enfin, avec des flopées d’enfants en bas-âge.
Pour les à-côtés du service, souvent le Wifi ne fonctionne pas mais la vente de boissons et d’en-cas à prix raisonnables est bien faite. J’ai expérimenté des toilettes bouchées ou fermées, et le plus souvent elles sont très sales, par la faute de ces messieurs qui ne veulent pas s’asseoir, ou qui ne le peuvent pas, vu l’exiguïté de l’endroit, ou du jet d’eau farfelu qui sort du robinet de ce qui fait office de lavabo, tout dépendant en fait du bon-vouloir du chauffeur à les nettoyer souvent.
Le plus important sur ces autocars longue distance est le confort et c’est le principal reproche à faire à Flixbus. En hiver, on gèle ou on crève de chaud si l’on est en bas ou en haut, selon les caprices de la climatisation. L’espace pour les jambes est standard, mais tout se complique quand la personne devant vous incline son dossier et que vous vous sentez obliger de faire de même pour accroitre votre espace vital vis-à-vis de votre voisin de derrière, qui par malchance est un grand gaillard d’Allemand pas marrant, sans compter que la position inclinée n’est pas optimale, faute d’atteindre les 75º d’usage pour se reposer, et qu’il est impossible de dormir quand on glisse inexorablement et que tout le poids du corps repose sur vos malheureux fessiers.
Les litiges avec les passagers sont courants et j’ai assisté à des petits drames déplaisants : parce qu’il n’y a pas de signalisation sur l’endroit où s’arrête le bus, qu’il n’y a pas de guichet, qu’on ne peut modifier son billet qu’en ligne, qu’une annulation doit se faire 15 minutes avant le départ, que le car n’attend pas et que le système de prix est implacable -plus le bus est plein, et donc inconfortable, plus le prix du billet est cher (et plus la marge bénéficiaire de Flixbus est grande).
C’est un monde dur et cruel, pour l’accès aux meilleures places et pour conserver vide le siège d’à-côté, lorsque montent de nouveaux voyageurs -certains y place un sac, d’autres s’étale et font semblant de dormir. Ça frise le sordide quand ce sont des familles avec enfants qui ne trouvent pas à s’asseoir ou alors séparément. On se prend à vouloir faire de même, par angoisse de ne pas dormir et d’arriver épuisé au travail et de ne rien pouvoir faire de sa journée.
Pas un regard, pas un égard, pas une gentillesse ou une parole de politesse ou d’intérêt. C’est le chacun pour soi. Je me souviens des rencontres que je faisais quand je voyageais naguère par le bus –en Iran, en Turquie, en Géorgie- ou en auto-stop, quand il n’y avait ni écouteurs sur les oreilles pour se couper du monde ni écran de téléphone où s’absorber et oublier les autres. Trois fois seulement, j’ai noué un début de conversation: avec deux jeunes mexicaines pleines de bonne humeur qui visitaient l’Europe, avec un travailleur tchèque rieur et prévenant qui se rendait à Londres et avec qui je partageais la rangée des cinq sièges du fond, avec un couple d’étudiants turcs qui avaient raté le bus de la veille et cherchaient le nouvel arrêt à Heidelberg.

  • La gare routière de Bercy : zone de non-droit et tiers-mondisation de Paris


Qui a un peu voyager aux États-Unis ou dans ces pays où le réseau ferré a disparu sait comment fonctionne le transport par autocar longue distance, avec son rituel des embarquements. On se rend à la gare routière, souvent excentré, on peut acheter son billet à un guichet, on attend dans une salle d’attente propre et spacieuse dont la porte s’ouvre quand le bus est à quai. L’embarquement se fait dans le calme, un par un, chacun son tour, avec civilité.
Rien de tout ça avec les services d’autocar 2.0. Dans les villes moyennes, il n’y a pas les infrastructures d’une gare routière (guichets, toilettes, abris contre les intempéries). C’est la mêlée pour faire vérifier son billet et entrer en premier et gagner les bonnes places. Certaines grandes villes comme Cologne ont dû prendre des mesures drastiques pour éviter la congestion. 
Le pire est cependant à Paris, à la gare de routière de Bercy qu’exploite surtout Flixbus depuis 2017 en lieu et place de la porte Maillot et parce que Ouibus est marginalisé ou que ses bus partent de la gare ferroviaire à côté. La gare routière de Bercy, c’est la Cour des miracles, les trottoirs de Calcutta et les coins mal famés de Harlem réunis, même si cela s’est amélioré depuis le mois dernier, en fait, comme par hasard, depuis la grève de la SNCF. Flixbus y a installé des panneaux lumineux (qui marchent parfois) pour indiquer le numéro du quai d’où partent les bus, un guichet est ouvert pendant la journée, les WC sont parfois moins répugnants, tous les chauffeurs se sont résolus à arrêter leur moteur, et la dernière fois j’y ai même vu des panneaux d’interdiction de fumer !
Comme la libéralisation du secteur n’a pas été préparée, que le régulateur du secteur doit avoir d’autres chats à fouetter et qu’à la mairie de Paris, c’est le foutoir le plus complet, la « gare » en question qui est vieillotte et était quasi à l’abandon n’est pas aux normes et aucuns travaux n’y ont été mené depuis la loi de 2015, sans compter qu’elle est mitoyenne du parc omnisport de Bercy et du jardin du même nom, qui n’est pas entretenu et ressemble à un coupe-gorge la nuit, et forme un bourbier infame en hiver. Le Monde écrivait dans un article du 17 août 2016 que la gare routière de Bercy était « un vaste hangar sinistre, dont l’entrée est cachée par les murs tagués du skate-park local ». C’est bien pire depuis que Flixbus y est à demeure. Rien ne pourra être amélioré de ce qui ressort du bâtiment lui-même: intérieur et sans aérations, l’absence de salles d’attente et d’espaces d’accueil, l’exiguïté du tout. Il faudrait tout raser et reconstruire.
Sans compter que pas une seule fois, quelque soit l’heure où je m’y suis trouvé je n’ai vu une patrouille de forces de l’ordre ou des militaires de Vigipirate. Bien sûr aucun contrôle des bagages. Heureusement que les terroristes n’ont aucune imagination. Si l’endroit est sinistre et anxiogène, je dois reconnaître que je n’ai jamais vu ni violence ni vols ni délits alors que cela s’y prête à merveille. M’est avis que les délinquants de haut vol ne fréquentent pas ce lieu destiné à un quart-monde de pauvres gens et de sans-dents. C’est très en dessous de leur standing habituel de prédation et ils ne connaissent pas l’endroit.

Dernier évènement significatif en date, et pas des moindres, le mercredi 4 juillet, à l’occasion d’un méga concert de Justin Timberlake à l’aréna Accord mitoyenne de la gare routière: une douzaine de camions semi-remorques étaient garés là, à l’intérieur, moteurs allumés en continue pour alimenter leurs compresseurs. Autant dire que la chaleur y était insupportable et l’air irrespirable. J’ai vu des gens tournés de l’œil. Mais que fait la mairie de Paris !? 


Macron retord et en retard d’une guerre

Les cars Macron: les Allemands de Flixbus leur disent merci ! (III)


On ne voit pas quel autre concurrent pourrait contrer Flixbus dans sa marche en avant pour l’hégémonie planétaire. Déjà No 1 européen du secteur, Flixbus sera bientôt le No 1 mondial avec la conquête de nouveaux marchés, tant le rouleau compresseur allemand, fait de rationalité, d’efficacité et d’une bonne dose de cynisme et de brutalité, ne laisse aucune chance à ses concurrents si on a le malheur de lui laisser la bride sur le cou.

· Le redoutable rouleau-compresseur allemand : efficace, brutal, sans concessions

Flixbus est révélateur des succès allemands dont les Français ont tort de croire qu’ils ne relèveraient que de causes extérieures ou conjoncturelles (telle que la main mise allemande sur la politique monétaire et les politiques budgétaires européennes). Les succès allemands dans les affaires, mais aussi dans le sport (pas toujours !), tiennent à leur organisation globale, économique, sociale et politique, plus efficace, et à la mentalité tournée vers la performance qui se déploie dans le travail et les processus de décisions collectives, ce que l’on nomme l’éthos, ou l’identité nationale, pour faire plus élégant. Inutile de dire tout ce que cette compétition à outrance, et l’enrégimentement qu’elle suppose, suscite en sentiment d’ennui dans les rapports collectifs et en laissés-pour-compte laissés sur le carreau, mais ceci est un autre problème qui n’est pas le sujet de cet article.
L’exemple de la libéralisation du marché des bus est des plus éloquents pour expliquer comment fonctionne le système allemand (qui n’est un modèle que pour leur propre usage): là où les Allemands prennent du temps pour se décider, pour discuter, pour se donner les moyens, et in fine s’arroger tous les atouts en main, les Français temporisent et folâtrent, se trompant de sujet et finissent par une décision précipitée, non concertée, non préparée. Avec les erreurs stratégiques initiales des pontes de la SNCF sur Ouibus pour couronner le tout. Le résultat est couru d’avance. Le rouleau compresseur allemand ne fera, une nouvelle fois, qu’une bouchée de son inconstant et inconséquent voisin, comme il le fit en 1870, en 1914 et en 1940. L’économie est la guerre par d’autres moyens et la France qui avait été, jadis, une grande nation guerrière perd toutes ses guerres depuis 150 ans, ou presque. Sauf quand elle se résout à faire appel, en désespoir de cause, à ses meilleurs généraux pour la sortir du bourbier où les politiques et les bureaucrates l’ont jeté.

·       En économie, la France à contre-temps, comme toujours

Notre monde de 2018 est le monde à l’envers. La France se met à l’heure du libéralisme avec bien retard en regard du tournant néo-libéral des années 1980 et 1990, alors que la conjoncture s’y prêtait mieux, que l’endettement public restait modéré, que tout le monde faisait les mêmes réformes en même temps. A présent, les peuples ont constaté les dégâts du libéralisme sans-frontières et sans-barrières, et de ces tristes acolytes européaniste et mondialiste, les deux porte-flingues à ses côtés, et ils rebroussent chemin, États-Unis et Grande Bretagne en tête.
Quel paradoxe et quel étonnant retournement de situation que les parangons anglo-saxons du libéralisme soient devenus d’acharnés souverainistes. Paradoxe apparent seulement car ce sont des pragmatiques avant tout. Ils ne tiennent aux théories qu’ils édictent que pour autant elles servent leurs propres intérêts. Comme l’Italie qui fière de ces 3000 ans de civilisation, et éternelle laboratoire politique de l’Europe, montre la voie du souverainisme à la sauce populiste sans s’inquiéter du mépris habituel de la France qui lui donne des leçons. Il est à craindre que Macron en se faisant le porte étendard du libéralisme, et du libertarisme, ne fasse beaucoup rire dans plusieurs capitales alliées et que la France se retrouvât le dindon de la farce au jeu du libéralisme pur et dur, au moment où plus personne n’y veut plus jouer.
Car la France, comme toujours, est en retard d’une guerre. Or il y a un risque à se mettre hors des cycles qui rythment la vie de la politique et de l’économie. Laval en fit l’expérience en 1935 avec sa politique de déflation et Mitterrand en 1981 avec sa politique de relance. Et combien de pays ont vu leur système productif s’effondrer en quelques années, et jamais ne se reconstituer, par la faute d’une ouverture des frontières brutale et non préparée, la Russie des années 90 en particulier.
Keynes et Schumpeter, économistes libéraux s’il en fut, ainsi que Kondratieff (mort au Goulag) n’ont cessé de défendre une approche circonstanciée et opportuniste, et contra-cyclique de l’activité économique, de l’action publique ou du développement des technologies, pour empêcher le capitalisme de s’effondrer. De même qu’en microéconomie ou en macroéconomie la littérature abonde pour tous les déséquilibres de marché, tous les trucs pour les rééquilibrer et surtout pour en profiter en contournant le jeu de la concurrence. Mais rien n’y fait le fétiche du marché de concurrence pure et parfaite agit toujours !

  • Quand la main droite dérégulatrice ignore ce que fait la main gauche protectrice

Bien sûr, le consommateur-client étant roi c’est lui qui dicte sa loi, et avec Flixbus et consors il a trouvé le moyen de diviser par trois le prix de son billet par rapport au train. Le consommateur ne perçoit cependant pas tout le tort qu’il peut faire au producteur-travailleur qui pourra être son père ou son cousin, ceux-là qui garantissent la croissance, l’emploi et le maintien de la base productive sur laquelle l’impôt sera prélevée, et donc la prospérité de long terme assurée, et du reste il s’en contrefout royalement le consommateur-roi parce qu’il est un européaniste convaincu, qu’il n’admet aucunes frontières à sa frénésie de désir, et parce que jeune, éduqué, sans identité enracinée il éprouve un plaisir sadique à nuire aux prolos et aux deschiens de la France périphérique et du Front national, de l’Allemagne de l’AfD et des Britanniques du Brexit.
Les fétichistes du marché vivent dans un monde idéal. Ils avaient leur pendant, rappelons-le, avec les socialistes fétichistes des nationalisations, de la planification et du dirigisme d’État, ceux-là qui ne comprenaient pas que l’économie a parfois besoin de coudées franches, comme un cheval à qui il faut lâcher la bride pour qu’il galope tout son saoul et s’abandonne à l’énergie accumulée en lui. L’économie libérale (qui ont battu à plat de couture le socialisme et ses avatars communistes et sociaux-démocrates) fonctionne à la manière du cavalier -l’équivalent de la puissance publique-  avec son cheval, il doit le retenir ou le laisser courir, faire varier les allures, pour le mener au pas, au trot ou au galop selon le terrain où ils évoluent, le but du voyage, les incidents du parcours et la qualité du canasson ! Tout dépend des circonstances et du moment, de l’opportunité.  
Dans son choix calculateur et intéressé, l’individu égoïste ignore tous des tords que sa main gauche fait à sa main droite, c’est pourquoi l’État, et ceux qui le serve, sont là pour remédier aux déséquilibres de marchés et arriver à un optimum de bien collectif, soit à la façon autoritaire et collectiviste avec les brillants résultats que l’on sait de l’URSS à Cuba jusqu’au Venezuela, soit à la manière capitaliste pure et dure du 19e siècle et jusqu’aux années 1930, en supprimant tous les freins empêchant aux marchés de s’auto-équilibrer, soit enfin, en régulant ces mêmes marchés, en usant de plus ou moins de règles ou de libertés, dépendamment des types de biens ou de services, de leur maturité, de l’état de la concurrence.

·       L’agenda caché du Président Macron

La décision de libéralisation du marché de l’autocar sans une période de transition ou d’adaptation préalable pendant laquelle la SNCF et d’autres compétiteurs français auraient pu se préparer et affuter leurs armes peut surprendre même d’un point de vue libéral, tant l’économie française et l’emploi en France n’avaient aucun bénéfice de court-terme à en tirer. Il est vrai que l’argument, démagogique s’il en fut, formulé par Emmanuel Macron consista à faire croire que les pauvres gens allaient pouvoir se payer des vacances en utilisant les bus portant son nom !
Que de décisions vendues au populo, allant contre ses intérêts, en se servant du mythe des congés payés du Front populaire ou de l’argument de l’internationalisme et de la vulgate droit-de-l’hommiste (l’argument humanitaire qui justifiait la concurrence des travailleurs étrangers et l’immigration de peuplement a du plomb dans l’aile en Allemagne chez les dirigeants de Die Linke qui ont enfin relu les bonnes pages du bon petit père Marx).
Emmanuel Macron a montré qu’il pouvait être retord, jusqu’à chercher à tirer avec un fusil visant dans les coins comme disait Rocard. Car à part les étudiants qui font économiser à leurs parents les frais de transport pour retourner chez eux ou prendre des vacances, ce sont surtout des travailleurs, et des migrants, qui utilisent les lignes d’autobus longue distance. Dans quelles mesures, la dérégulation des cars Macron ainsi que l’abandon de la SNCF à ces lois du marché qui la mettront par terre, n’obéit pas à un agenda caché ?
Karl Polanyi, dans un ouvrage qui fit date, La Grande Transformation, en 1944, montra comment les fétichistes du marché et authentiques libéraux du début du 19e puis ceux du début du 20e siècle ont vigoureusement repris en main de manière autoritaire des sociétés menacées d’un effondrement complet du fait de la dérégulation et de l’unification de l’économie sous la loi d’airain des marchés, ceci en tuant l’opposition politique et syndicaliste, par la force même. Ce que Thatcher fit aussi en son temps, et sa manière, avec la grève des mineurs pour mettre à bas le travaillisme britannique.
Quel sont les bénéficiaires des cars Macron, hors les jeunes de la classe moyenne qui économisent sur le prix qu’ils payeraient avec le train ? Les prolétaires ou les travailleurs, certainement mais pas pour des vacances qu’ils ne peuvent de toute façon pas s’offrir. Ces cars longue distance permettent aux travailleurs d’être mobiles, d’aller chercher du travail ou de se rendre sur leur lieu de travail à moindre frais, et le prix du transport baissant c’est le prix de la force de travail qui baisse aussi.
C’est le crédo premier d’un marché du travail optimisé, sa fluidité, grâce à la mobilité des salariés, pour une allocation optimale des ressources. Les mouvements nationaux de travailleurs entre régions déshérités et régions qui embauchent et les mouvements internationaux de travailleurs, d’est en ouest et du nord au sud, compte tenu des différences de salaire, permettront ainsi de « fluidifier » davantage le marché du travail français, en d’autres termes de pousser les salaires vers le bas. Dans cette économie hors-sol, sans frontières et sans barrières, aux dimensions de l’Europe entière, où les cultures et les identités ne comptent évidemment pas, chaque individu est renvoyé à sa fonction de producteur-consommateur, échangeable, substituable, remplaçable.
Quant à la fragilisation de la SNCF, qu’est-ce sinon que de vouloir casser davantage ce qui restait de force au mouvement ouvrier dans ses bastions historiques des transports, et le signe de la reprise en main assez sévère, au sens de Karl Polanyi, de tout ceux qui ne marchent pas droit et au pas cadencé, en regard des incertitudes et des risques d’effondrement d’une économie de marchés mondialisée de plus en plus fragile ?



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