mardi 22 novembre 2016

Épicière et brutale: la droite la plus con qui soit


J’avais pronostiqué la défaite de Juppé en octobre 2016 mais aussi dès juin 2015 et juillet 2015Parce qu’elle était inscrite dans nos traditions politiques, parce qu'elle tient aux modes de suffrages de nos grands scrutins nationaux, parce que sous la Ve République le candidat le plus centre se voit toujours éliminer prématurément. Je ne vais pas bouder mon plaisir maintenant que cette défaite est quasi actée, d’autant que Fillon était le moins pire des sept candidats. Plaisir décuplé par le fait que les sondages se sont plantés dans les grandes largeurs, qu’ils ont voulu nous tromper en nous faisant accroire que la bataille se résumerait à l’affrontement Juppé-Sarkozy. Comme l’écrit E. Levy, après le Brexit et l’élection de Trump, il souffle un air de débandade dans le Parti des Médias.
On ne voit effectivement pas comment Juppé pourra rattraper son retard au second tour alors que la plupart des électeurs de Sarkozy et des autres petits candidats, à part NKM, se reporteront sur son adversaire. Fillon sera assuré d’une écrasante victoire. Mais essayons dès à présent de voir plus loin, en faisant le bilan de ces primaires de la droite et du centre, et en tirer les conséquences électorales pour la gauche et le FN. La campagne des primaires a révélé une triple erreur de perspectives de la part des candidats -erreur de diagnostic, erreur de stratégie, erreur de style- ce qui se rattrape éventuellement, mais aussi un positionnement idéologique téméraire qui pourrait couter cher à LR pour la Présidentielle et dont les principaux gagnants seront Marine Le Pen et la stratégie voulue pour elle par Florian Philippot.
Le programme de Fillon n’est ni plus ni moins que celui qui avait permis à Sarkozy de remporter les élections de 2007, en plus dur, en plus ferme, en plus tranché. On sait ce qu’il en fut de sa mise en œuvre, très en deçà des espérances des électeurs. Certes, on pourra compter sur le courage de Fillon pour respecter ses promesses, sur sa sincérité et sa rigueur qui tranchent avec un Sarkozy qui m’a toujours fait l’effet de mentir comme un bonimenteur de foire ou un arracheur de dents. Le vouloir certainement, mais le pourra-il vraiment ? Fillon ne va-t-il pas se heurter au même dilemme que ces prédécesseurs : il ne maîtrise pas les moyens de sa politique car celle-ci passe par la reconquête de la souveraineté nationale et le retour aux fondements historiques de notre identité commune. Et seuls les partis dits souverainistes, le Front National et Debout la France, sont sur cette ligne.

L’erreur de diagnostic

Pour les Républicains le diagnostic est simplissime : les Français ne travaillent pas assez et l’État dépense trop, et quant aux menaces sur notre sécurité et notre identité ce ne serait qu’une question de fermeté. Diagnostic assez consternant dignes de ministres de l'économie et des finances mais pas de candidats à la Présidentielle.
Sur le temps de travail, le constat est faux car les statistiques ne sont que des moyennes : certains Français travaillent beaucoup (travailleurs indépendants, salariés des PME, précaires) et d’autres beaucoup moins (secteurs publics, salariés des firmes internationalisées, chômeurs) et il faut aussi tenir compte de l’intensité du travail très forte en France, ce qui a ses avantages (forte productivité horaire) et ses gros inconvénients  (maladies professionnelles et pathologies mentales liées au stress et à l’épuisement). Cela se traduit dans le taux de suicide, la consommation d’antidépresseurs, dont la France est championne du monde, et aussi dans cette identité malheureuse, dont l’immigration de peuplement et l’islamisation ne sont que des aspects et qui tient à ce constat : la France n’est plus le pays où il fait bon habiter, et l’art de vivre à la française relève de plus en plus d’une chimère du passé ou du produit marketing pour une France muséifiée. Laisser au niveau de l'entreprise la négociation sur le temps de travail ne résoudra pas ces disparités, elles en seront même accentuées.
De même que sur les dépenses publiques, faire croire que le problème tient au nombre de fonctionnaires et la solution d’en faire disparaître 500 000 est au mieux un mensonge, au pire un aveuglement. Seul un dégraissage rapide, sous forme de licenciements, plutôt que par la hausse du temps de travail, permettrait des économies substantielles, ce qui supposerait de faire sauter le statut de la fonction publique et de prévoir des indemnités substantielles très coûteuses à court-terme. D'autant que la faible productivité du secteur public et l’état déplorable des services publics tiennent surtout à une organisation inefficace, aux missions superflues, aux structures inutiles et à un mode de fonctionnement digne de Courteline et de Kafka dont les fonctionnaires sont les premières victimes. Il faudrait restructurer sauvagement avant de dégraisser massivement. Aucun candidat ne s’y aventurera.
D’autant que le vrai problème du faible dynamisme économique français, du manque de compétitivité des entreprises, de la désindustrialisation et par là, du chômage massif et de l’exclusion sociale des plus vulnérables, tient non aux dépenses de l’État laminées depuis 20 ans mais au montant considérable des dépenses sociales qui pèsent sur l'économie (50 % des dépenses publiques et 35 % du PIB). C’est un choix de société qui se paye en impôts et en prélèvements sociaux. Les toucher reviendrait à attaquer des vaches sacrées auxquelles les Français sont très attachées : prestations de chômage généreuses, système de santé en « libre-service », allocations famille et de solidarité fort coûteuses.

L’erreur de stratégie

Au diagnostic erroné correspond une erreur de stratégie dont Fillon ne prend pas la mesure. Elle tient à ce diptyque combinant électrochoc libéral pour l’économie et austérité financière pour l’État, soit le choc thatchérien des années 70 et la purge merkelienne des années 2000. Que du brutal ! 
Bien que nécessaires, il n’est pas sûr que la France soit en état de recevoir ce choc et cette purge combinés qui pourraient bien tuer le malade. Parce que ce sont des recettes adaptées pour d’autres pays qui ne correspondent pas à notre modèle national. Parce que cette médication est anachronique et vient à contretemps, comme toujours de la part de la classe politique française : c’était dans les années 80 qu’il fallait prendre le tournant thatchérien en libérant l’économie et en modérant les dépenses publiques (1). Parce qu’elle intervient à un moment inopportun quand les deux pays qui donnent le ton dans les orientations mondiales entament, avec le Brexit et Donald Trump, un tournant souverainiste et antimondialiste de grande ampleur.
Ce dont souffre la France depuis toujours est un problème d’ajustement, ou d’adaptation, au monde qui l’entoure, soit parce qu’elle est « en avance » sur ce monde-là (aux moments de l’absolutisme monarchique entre 1515-1710 et de l’État-nation égalitaire entre 1789-1815) soit parce qu’elle est en retard sur lui (1870-1945). Depuis 1975 et le tournant néo-libéral et le mouvement de globalisation, la France a été à la fois en retard par rapport à ses alliés du fait de son système d’économie administrée et du poids de son État colbertiste et social et en avance sur lui, par sa clairvoyance dans son hostilité au modèle libéral anglo-saxon mondialisé qui mène à la destruction des États-nations, au nivellement identitaire et au chaos multiculturel.
On n’applique pas un remède de cheval à un patient affaibli par trente années de potions administrées par des charlatans. Le malade sent qu’il va perdre sur tous les tableaux : travailler plus et gagner moins, le choix entre assistanat et emploi précaire, la disparition de la paix sociale sans la résolution des problèmes sociaux, le rétrécissement des libertés sans avoir plus de sécurité, l'ouverture des frontières et l'accueil de toute la misère du monde sans en tirer d'avantages économiques ou cultuirels; les emplois industriels perdus et les emplois de la nouvelle économie non advenus; la perte de souveraineté réglementaire, monétaire et budgétaire sans la prospérité et la sécurité promises et sans même des finances saines garantes de notre indépendance nationale.
L’erreur principal de stratégie des Républicains tient aux recettes d'épicerie proposées. Il n’y a pour eux que l’économie et les finances, pas de perspectives à long-terme qui fassent un peu rêver. La droite parlementaire française, ploutocratique et sans idées, ne sait parler que de gros sous. Elle fait l’impasse sur ce qui préoccupe avant tout les Français : leur souveraineté comme peuple, du fait d’un système politique représentatif vicié, leur souveraineté comme nation, par le fait de décisions désormais prises à Bruxelles, à Washington et Berlin et leur identité menacée de mort, par la déculturation du pays, de son africanisation et de son islamisation.

Sur l’erreur de style et la forme de ces primaires

Le choc libéral et le choc d’austérité sont d’autant inopportuns que les Français sont moralement épuisés, mentalement à bout. On peut le regretter mais le pays a d’abord besoin d’être rassuré. Et le style des sept candidats, et particulièrement le ton de Fillon, n’est pas là pour les tranquilliser. Les débats entre les sept candidats ont laissés une impression surréaliste à ceux qui ne sont pas des électeurs LR.
Aveugle, brutale et maladroite, tel est apparu la droite la plus con qui soit, droite dans ses bottes, comme si elle en revenait toujours à ses vieux démons : n’avoir ni valeurs qui la porte sur la longue durée, ni idées qui la mobilise quand elle est dans l’opposition, ni courage quand elle est aux affaires. Nous eûmes droit à des échanges techniques et ennuyeux à part lorsque les candidats se livrèrent à des règlements de compte personnels et qu’ils déballèrent, avec l’inconscience de qui croit la partie déjà gagnée, les remugles sales de leurs affaires de famille.
On se dit que les Républicains ne connaissent pas la réalité, qu’ils ne voient que les gagnants de la mondialisation, les insiders des grandes villes et des grandes entreprises et ignorent la France qui souffre et qui est au bord de l’explosion, celle qui aura le plus à perdre au choc de libéralisation et au recul des dépenses publiques. C’était du reste la stratégie de Juppé avec son identité heureuse : faire passer la pilule de la précarité et de l'austérité avec des caresses et des mamours, sauf, bien sûr, que ce n’était que du vent. Fillon est plus honnête mais aussi plus téméraire. Il promet du sang et des larmes, sans souffle pour animer son programme, et sans charisme pour le porter, sans rien qui puisse atténuer les effets du traitement carabiné qu’il promet de nous donner.

Un positionnement gestionnaire et néo-libéral téméraire

Il manquait à cette campagne si ce n’est du souffle au moins du fond, et des perspectives, pour ne pas parler de convictions. Tout a été sacrifié aux calculs électoraux, au positionnement sur telle ou telle fraction de votants (le centre droit pour Juppé et NKM, la droite libérale dure pour Le Maire ou Fillon, la droite conservatrice forte pour Sarkozy, Copé et Poisson) et à la perspective de faire un bon score dans la perspective de Matignon pour tous ceux qui ne faisaient pas la course en tête. Tout cela était affligeant eu égard aux enjeux dramatiques pour la France et à la perspective de troubles aux allures de guerre civile du fait de la libanisation du pays.
Des commentateurs, à gauche, ont cru voir les sept mercenaires ou les sept salopards nous faire le coup du plus dur et plus méchant que moi tu meurs ! Ils étaient bien trop gentils. La droite la plus con qui soit, qui a abandonné la nation, tombe dans le panneau de la droitisation libérale, au moment où les États-Unis et la Grande Bretagne tournent le dos aux chimères du libre-échange et de la globalisation sans limites.
Les sept candidats de la droite et du centre ont plutôt fait l’effet des sept nains aux téléspectateurs et celle qui va retirer les marrons de la petitesse et d’une certaine bassesse des nains qui lui servent d’adversaires, à droite, c’est Blanche Neige, alias Marine Le Pen, ou plus exactement la ligne idéologique suivie par Florian Philippot pour elle au FN. Le positionnement libéral-conservateur de Fillon, d'une droite gestionnaire, avec son électorat de petits propriétaires, et d'une droite conservatrice, avec son électorat rétif au libertarisme des mœurs, va donner de l'espace à un candidat de centre-gauche de type Macron ou Valls et il va mordre sur l’électorat identitaire du Front National. Mais il va surtout s’aliéner l’électorat prolétaire, les bastions de la France qui souffre, le monde des employés et des ouvriers orphelin d’une gauche qui a abandonné le peuple et qui représente toujours 60 % de l’électorat, ceux-là même que Philippot vise avec la ligne sociale, étatiste et protectionniste qu’il a imposé au forceps au FN. Voir à ce propos mes deux articles du 20 octobre 2014 (Florian Philippot: ce souverainiste avec des bottes de gaulliste) et du 21 juin 2015 (Haro sur Philippot ?).
Il n’est pas dit que Philippot n’ait pas anticipée non seulement l'effondrement des socialistes mais aussi l’erreur que commettraient les Républicains avec leur virage tout gestionnaire et un néo-libéralisme anachronique par rapport à la marche du monde, quand sur l’identité et la sécurité ils peinent à être crédible -il faudra plus que de la discipline et des uniformes pour redresser l’école de là où elle est tombée, et des mesures plus radicales que la réorganisation du ministère de l’intérieur et des services de renseignement pour lutter contre l’islamisme et le grand remplacement (il faudrait plutôt le retour au modèle français d’assimilation et la re-migration des migrants surnuméraires). Ce qui serait un coup de maître de la part du responsable de la stratégie du FN.
Aveuglement à droite et déni à gauche
L’aveuglement, ou la myopie, est la marque distinctive des dirigeants de la droite gouvernementale française, alors que le déni serait la caractéristique de la gauche socialiste. La droite ne semble pas voir la réalité telle qu’elle est, ou avec retard, comme le cavalier qui voit l’obstacle que quand il est dessus, parce qu'elle est coupée du peuple -mais ceci n’est pas nouveau- et surtout parce qu’elle ne croit à rien et change d’idées comme de chemises, au gré des circonstances et des retournements de vestes électoraux. Du reste, de grâce ne parlons pas des valeurs de la droite ! Le propre de la droite de gouvernement -hors la parenthèse gaulliste- depuis un siècle est de se contrefoutre des valeurs et de puiser au petit bonheur la chance, à droite et surtout à gauche, les idées sociales, libérales ou souverainistes pour les recycler, trop tard et à contretemps, avec Chirac et Sarkozy qui furent des maîtres du genre.

Aveuglement sur l’Europe panacée et l’euro-solution-à-nos-problèmes. Aveuglement sur l’immigration-chance-pour-la-France. Aveuglement sur l’islam-religion-d’amour-et-de-paix. Aveuglement sur la perte de compétitivité, la désindustrialisation et l’endettement du pays. Aveuglement sur la faillite de l’État et des services publics. Aveuglement sur la désintégration sociale, le communautarisme et l’identité nationale qui fout le camp. Aveuglement dans l’ignorance des laissés-pour-compte. Tout ceci trouve sa source dans les décisions, ou les non-décisions, prises depuis quarante ans, par manque de courage, par lâcheté et par soumission au Surmoi de gauche qui domine la droite française depuis un siècle. Ce que veulent très majoritairement les Français, de droite ou de gauche, aujourd’hui c’est la reconquête des frontières et le retour aux fondements de notre identité nationale : souveraineté et identité, tels est le cocktail gagnant. Que le pays ait besoin d’un électrochoc libéral et d’une bonne purge financière (l'intendance suivra dirait de Gaulle), c’est l’évidence, mais à l’intérieur de frontières qui protègent des vents mauvais de la mondialisation et sur les bases d’une identité nationale retrouvée qui éloigne les spectres de la guerre civile.
Déni à gauche ou aveuglement à droite, le résultat est le même, ce que le philosophe Clément Rosset avait résumé d’une formule, le réel et son double, en tant que le réel et sa représentation forment deux univers séparés: nos dirigeants appréhendent mal la réalité, leur diagnostic est souvent faux et leurs programmes sont en décalage avec les besoins et desiderata de la France réelle, de la France d’en bas, de la France périphérique.
Les primaires n’ont jamais été démocratiques. C’est un tamis social pour désigner des leaders normalisés sous la pression de sondages. Jamais la formule de Mélenchon n’a été aussi juste, tant pour comprendre la primaire de droite que celle de la gauche encore à venir. Il faut le dire et le répéter : le système des primaires, copié des États-Unis, ne correspond ni à nos institutions politiques ni à nos traditions électorales ni à nos scrutins électoraux. Les primaires sont le résultat de l’accouplement incestueux des appareils des partis politiques avec les médias dominants et les instituts de sondage, le produit vicié de la société du spectacle au bénéfice de la caste mondialiste, un système de représentation fictif dans un système politico-médiatique qui ne représente plus personne, à part les élites qui se sont autoproclamées comme telles.







(1) Tout comme c’était dans les années 70 qu’il fallait être un social-démocrate à l’allemande, dans les années 90 que le souverainisme de Seguin et de Villiers nous aurait protégé des idéologies européanistes et droits-de-l’hommiste, en limitant l’immigration, en défendant la méritocratie scolaire, en tenant bon sur le modèle français d’assimilation, et dans les années 2000 qu’il fallait assainir les finances publiques et baisser les impôts.

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