J’avais pronostiqué la défaite de Juppé en octobre 2016 mais aussi dès juin 2015 et juillet 2015. Parce qu’elle était inscrite dans nos traditions politiques, parce qu'elle tient aux modes de suffrages de nos grands scrutins nationaux, parce que sous la Ve République le candidat le plus centre se voit toujours éliminer prématurément. Je ne vais pas bouder mon plaisir maintenant que cette défaite est quasi actée, d’autant
que Fillon était le moins pire des sept candidats. Plaisir décuplé par le fait
que les sondages se sont plantés dans les grandes largeurs, qu’ils ont voulu nous
tromper en nous faisant accroire que la bataille se résumerait à l’affrontement
Juppé-Sarkozy. Comme l’écrit E. Levy, après le Brexit et l’élection de Trump, il souffle un air de débandade dans le Parti
des Médias.
On ne voit effectivement pas comment Juppé
pourra rattraper son retard au second tour alors que la plupart des électeurs
de Sarkozy et des autres petits candidats, à part NKM, se reporteront sur son
adversaire. Fillon sera assuré d’une écrasante victoire. Mais essayons dès à
présent de voir plus loin, en faisant le bilan de ces primaires de la
droite et du centre, et en tirer les conséquences électorales pour la gauche et le
FN. La campagne des primaires a révélé une triple erreur de perspectives de la part des
candidats -erreur de diagnostic, erreur de
stratégie, erreur de style- ce qui se
rattrape éventuellement, mais aussi un positionnement idéologique téméraire qui
pourrait couter cher à LR pour la Présidentielle et dont les principaux
gagnants seront Marine Le Pen et la stratégie voulue pour elle par Florian
Philippot.
Le programme de Fillon n’est ni plus ni moins
que celui qui avait permis à Sarkozy de remporter les élections de 2007, en
plus dur, en plus ferme, en plus tranché. On sait ce qu’il en fut de sa mise en
œuvre, très en deçà des espérances des électeurs. Certes, on pourra
compter sur le courage de Fillon pour respecter ses promesses, sur sa sincérité
et sa rigueur qui tranchent avec un Sarkozy qui m’a toujours fait l’effet de
mentir comme un bonimenteur de foire ou un arracheur de dents. Le vouloir certainement, mais le pourra-il
vraiment ? Fillon ne va-t-il pas se heurter au même dilemme que ces
prédécesseurs : il ne maîtrise pas les moyens de sa politique car celle-ci passe par la reconquête de la souveraineté nationale et le retour aux
fondements historiques de notre identité commune. Et seuls les partis dits souverainistes,
le Front National et Debout la France, sont sur cette ligne.
L’erreur de diagnostic
Pour les Républicains le diagnostic est simplissime : les Français
ne travaillent pas assez et l’État dépense trop, et quant aux menaces sur notre
sécurité et notre identité ce ne serait qu’une question de fermeté. Diagnostic assez consternant dignes de ministres de l'économie et des finances mais pas de candidats à la Présidentielle.
Sur le temps de travail, le constat est faux car les statistiques
ne sont que des moyennes : certains Français travaillent beaucoup
(travailleurs indépendants, salariés des PME, précaires) et d’autres beaucoup
moins (secteurs publics, salariés des firmes internationalisées,
chômeurs) et il faut aussi tenir compte de l’intensité du travail très forte
en France, ce qui a ses avantages (forte productivité horaire) et ses gros
inconvénients (maladies professionnelles et pathologies mentales liées au
stress et à l’épuisement). Cela se traduit dans le taux de suicide, la
consommation d’antidépresseurs, dont la France est championne du monde, et
aussi dans cette identité malheureuse, dont l’immigration de peuplement et
l’islamisation ne sont que des aspects et qui tient à ce
constat : la France n’est plus le pays où il fait bon habiter, et l’art de vivre à la française relève de
plus en plus d’une chimère du passé ou du produit marketing pour une France
muséifiée. Laisser au niveau de l'entreprise la négociation sur le temps de travail ne résoudra pas ces disparités, elles en seront même accentuées.
De même que sur les dépenses publiques, faire croire que le problème
tient au nombre de fonctionnaires et la solution d’en faire disparaître 500 000
est au mieux un mensonge, au pire un aveuglement. Seul un dégraissage rapide, sous forme de licenciements, plutôt que par la hausse du temps de travail, permettrait des économies substantielles, ce qui
supposerait de faire sauter le statut de la fonction publique et de prévoir
des indemnités substantielles très coûteuses à
court-terme. D'autant que la faible productivité du secteur public et l’état
déplorable des services publics tiennent surtout à une organisation
inefficace, aux missions superflues, aux structures inutiles et à un mode de
fonctionnement digne de Courteline et de Kafka dont les fonctionnaires sont les
premières victimes. Il faudrait restructurer sauvagement avant de dégraisser massivement.
Aucun candidat ne s’y aventurera.
D’autant que le vrai problème du faible dynamisme économique français,
du manque de compétitivité des entreprises, de la désindustrialisation et par
là, du chômage massif et de l’exclusion sociale des plus vulnérables, tient non
aux dépenses de l’État laminées depuis 20 ans mais au montant considérable des
dépenses sociales qui pèsent sur l'économie (50 % des dépenses publiques et 35 % du PIB). C’est un choix de société qui se paye en impôts et en
prélèvements sociaux. Les toucher reviendrait à attaquer des vaches
sacrées auxquelles les Français sont très attachées : prestations de
chômage généreuses, système de santé en « libre-service »,
allocations famille et de solidarité fort coûteuses.
L’erreur de stratégie
Au diagnostic erroné correspond une erreur de stratégie dont Fillon ne prend pas la mesure. Elle tient à ce diptyque combinant électrochoc libéral pour l’économie et austérité financière pour l’État, soit le choc thatchérien des années 70 et la purge merkelienne des
années 2000. Que du brutal !
Bien que nécessaires, il n’est pas sûr que la France soit en état de
recevoir ce choc et cette purge combinés qui pourraient bien tuer le malade. Parce que ce
sont des recettes adaptées pour d’autres pays qui ne correspondent pas à notre
modèle national. Parce que cette médication est anachronique et vient à contretemps, comme toujours de
la part de la classe politique française : c’était dans les années 80 qu’il
fallait prendre le tournant thatchérien en libérant l’économie et en modérant
les dépenses publiques (1). Parce qu’elle intervient à un moment inopportun quand les deux pays qui
donnent le ton dans les orientations mondiales entament, avec le Brexit et Donald Trump, un tournant souverainiste
et antimondialiste de grande ampleur.
Ce dont souffre la France depuis toujours est un problème d’ajustement, ou
d’adaptation, au monde qui l’entoure, soit parce qu’elle est « en avance »
sur ce monde-là (aux moments de l’absolutisme monarchique entre 1515-1710 et de l’État-nation
égalitaire entre 1789-1815) soit parce qu’elle est en retard sur lui (1870-1945).
Depuis 1975 et le tournant néo-libéral et le mouvement de globalisation, la
France a été à la fois en retard par rapport à ses alliés du fait de son
système d’économie administrée et du poids de son État colbertiste et social et en avance sur lui, par sa clairvoyance dans son hostilité au modèle libéral
anglo-saxon mondialisé qui mène à la destruction des États-nations, au
nivellement identitaire et au chaos multiculturel.
On n’applique pas un remède de cheval à un patient affaibli par trente
années de potions administrées par des charlatans. Le
malade sent qu’il va perdre sur tous les tableaux : travailler plus et gagner
moins, le choix entre assistanat et emploi précaire, la disparition de la paix
sociale sans la résolution des problèmes sociaux, le rétrécissement des libertés sans
avoir plus de sécurité, l'ouverture des frontières et l'accueil de toute la misère
du monde sans en tirer d'avantages économiques ou cultuirels; les emplois industriels perdus et les emplois de
la nouvelle économie non advenus; la perte de souveraineté réglementaire,
monétaire et budgétaire sans la prospérité et la sécurité promises
et sans même des finances saines garantes de notre indépendance nationale.
L’erreur principal de stratégie des Républicains tient aux recettes d'épicerie proposées. Il n’y a pour eux que l’économie et les
finances, pas de perspectives à long-terme qui
fassent un peu rêver. La droite parlementaire française, ploutocratique et sans
idées, ne sait parler que de gros sous. Elle fait l’impasse sur ce qui
préoccupe avant tout les Français : leur souveraineté comme peuple, du fait d’un système politique représentatif vicié, leur souveraineté
comme nation, par le fait de décisions désormais prises à Bruxelles, à
Washington et Berlin et leur identité menacée de mort, par
la déculturation du pays, de son africanisation et de son islamisation.
Sur l’erreur de style et la forme de ces primaires
Le choc libéral et le choc d’austérité sont d’autant inopportuns que les
Français sont moralement épuisés, mentalement à bout. On peut le regretter mais
le pays a d’abord besoin d’être rassuré. Et le style des sept
candidats, et particulièrement le ton de Fillon, n’est pas là pour les tranquilliser. Les débats entre les sept candidats ont laissés une impression surréaliste à ceux qui ne sont pas des électeurs LR.
Aveugle, brutale
et maladroite, tel est apparu la droite la plus con qui soit, droite dans ses
bottes, comme si elle en revenait toujours à ses vieux démons :
n’avoir ni valeurs qui la porte sur la longue durée, ni idées qui la mobilise
quand elle est dans l’opposition, ni courage quand elle est aux affaires. Nous
eûmes droit à des échanges techniques et ennuyeux à part lorsque les candidats
se livrèrent à des règlements de compte personnels et qu’ils déballèrent, avec
l’inconscience de qui croit la partie déjà gagnée, les remugles sales de leurs
affaires de famille.
On se dit que les Républicains ne connaissent pas la réalité, qu’ils ne
voient que les gagnants de la mondialisation, les insiders des grandes villes
et des grandes entreprises et ignorent la France qui souffre et qui est au bord
de l’explosion, celle qui aura le plus à perdre au choc de libéralisation et au
recul des dépenses publiques. C’était du reste la stratégie de Juppé avec son
identité heureuse : faire passer la pilule de la précarité et de l'austérité avec des caresses et des
mamours, sauf, bien sûr, que ce
n’était que du vent. Fillon est plus honnête mais aussi plus téméraire. Il promet
du sang et des larmes, sans souffle pour animer son programme, et sans
charisme pour le porter, sans rien qui puisse atténuer les effets du traitement carabiné qu’il promet de nous donner.
Un positionnement gestionnaire et néo-libéral téméraire
Il manquait à cette campagne si ce n’est du souffle au moins du fond, et
des perspectives, pour ne pas parler de convictions. Tout a été sacrifié aux
calculs électoraux, au positionnement sur telle ou telle fraction de votants
(le centre droit pour Juppé et NKM, la droite libérale dure pour Le Maire ou
Fillon, la droite conservatrice forte pour Sarkozy, Copé et Poisson) et à la
perspective de faire un bon score dans la perspective de Matignon pour tous
ceux qui ne faisaient pas la course en tête. Tout cela était affligeant eu
égard aux enjeux dramatiques pour la France et à la perspective de troubles aux
allures de guerre civile du fait de la libanisation du pays.
Des commentateurs, à gauche, ont cru voir les sept mercenaires ou
les sept salopards nous faire le coup du plus dur et plus méchant que moi tu
meurs ! Ils étaient bien trop gentils. La droite la plus con qui soit, qui a
abandonné la nation, tombe dans le panneau de la droitisation libérale, au moment où les
États-Unis et la Grande Bretagne tournent le dos aux chimères du libre-échange
et de la globalisation sans limites.
Les sept candidats de la droite et du centre ont plutôt fait l’effet des
sept nains aux téléspectateurs et celle qui va retirer les marrons de la
petitesse et d’une certaine bassesse des nains qui lui servent
d’adversaires, à droite, c’est Blanche Neige, alias Marine Le Pen, ou plus
exactement la ligne idéologique suivie par Florian Philippot pour elle au FN. Le positionnement libéral-conservateur de Fillon, d'une droite gestionnaire, avec son électorat
de petits propriétaires, et d'une droite conservatrice, avec son électorat rétif au libertarisme des mœurs, va donner de l'espace à un candidat de centre-gauche de type Macron ou Valls et il va mordre sur l’électorat identitaire du Front National. Mais il va surtout s’aliéner
l’électorat prolétaire, les bastions de la France qui souffre, le monde des
employés et des ouvriers orphelin d’une gauche qui a abandonné le peuple et qui représente toujours 60 % de l’électorat, ceux-là même que
Philippot vise avec la ligne sociale, étatiste et protectionniste qu’il a
imposé au forceps au FN. Voir à ce
propos mes deux articles du 20 octobre 2014 (Florian Philippot: ce souverainiste avec des bottes de gaulliste) et du 21 juin 2015 (Haro sur Philippot ?).
Il n’est pas dit que Philippot n’ait pas anticipée non seulement l'effondrement des socialistes mais aussi l’erreur que
commettraient les Républicains avec leur virage tout gestionnaire et un
néo-libéralisme anachronique par rapport à la marche du monde, quand sur l’identité
et la sécurité ils peinent à être crédible -il faudra plus que de la
discipline et des uniformes pour redresser l’école de là où elle est tombée, et des
mesures plus radicales que la réorganisation du ministère de l’intérieur et des
services de renseignement pour lutter contre l’islamisme
et le grand remplacement (il faudrait plutôt le retour au modèle français d’assimilation et la re-migration des migrants surnuméraires). Ce qui serait un coup de maître de la part du responsable
de la stratégie du FN.
Aveuglement à droite et déni à gauche
L’aveuglement, ou la myopie,
est la marque distinctive des dirigeants de la droite gouvernementale
française, alors que le déni serait la caractéristique de la gauche socialiste.
La droite ne semble pas voir la réalité telle qu’elle est, ou avec retard, comme
le cavalier qui voit l’obstacle que quand il est dessus, parce qu'elle est coupée du peuple -mais ceci n’est pas nouveau- et surtout
parce qu’elle ne croit à rien et change d’idées comme de chemises, au gré
des circonstances et des retournements de vestes électoraux. Du reste, de grâce
ne parlons pas des valeurs de la droite ! Le propre de la droite de
gouvernement -hors la parenthèse gaulliste- depuis un siècle est de se
contrefoutre des valeurs et de puiser au petit bonheur la chance, à droite et surtout à
gauche, les idées sociales, libérales ou souverainistes pour les recycler, trop tard et à contretemps, avec Chirac et Sarkozy qui furent des maîtres du
genre.
Aveuglement sur l’Europe
panacée et l’euro-solution-à-nos-problèmes. Aveuglement sur
l’immigration-chance-pour-la-France. Aveuglement sur
l’islam-religion-d’amour-et-de-paix. Aveuglement sur la perte de compétitivité,
la désindustrialisation et l’endettement du pays. Aveuglement sur la faillite
de l’État et des services publics. Aveuglement sur la désintégration sociale,
le communautarisme et l’identité nationale qui fout le camp. Aveuglement dans
l’ignorance des laissés-pour-compte. Tout ceci trouve sa source dans les
décisions, ou les non-décisions, prises depuis quarante ans, par manque de
courage, par lâcheté et par soumission au Surmoi de gauche qui domine
la droite française depuis un siècle. Ce que veulent très majoritairement les
Français, de droite ou de gauche, aujourd’hui c’est la reconquête des
frontières et le retour aux fondements de notre identité nationale : souveraineté
et identité, tels est le cocktail gagnant. Que le pays ait besoin d’un électrochoc
libéral et d’une bonne purge financière (l'intendance suivra dirait de Gaulle), c’est l’évidence, mais à l’intérieur
de frontières qui protègent des vents mauvais de la mondialisation et sur
les bases d’une identité nationale retrouvée qui éloigne les spectres de la guerre
civile.
Déni à gauche ou aveuglement
à droite, le résultat est le même, ce que le philosophe Clément Rosset avait résumé d’une
formule, le réel et son double, en tant que le réel et sa représentation forment deux univers séparés: nos dirigeants appréhendent mal la réalité, leur
diagnostic est souvent faux et leurs programmes sont en décalage avec les besoins et desiderata de la France réelle, de la France d’en bas, de la France périphérique.
Les
primaires n’ont jamais été démocratiques. C’est un tamis social pour désigner
des leaders normalisés sous la pression de sondages. Jamais la formule de Mélenchon n’a été aussi juste, tant pour comprendre la
primaire de droite que celle de la gauche encore à venir. Il faut le dire et le répéter : le système des primaires, copié des
États-Unis, ne correspond ni à nos institutions politiques ni à nos traditions
électorales ni à nos scrutins électoraux. Les
primaires sont le résultat de l’accouplement incestueux des appareils des
partis politiques avec les médias dominants et les instituts de sondage, le
produit vicié de la société du spectacle au bénéfice de la caste mondialiste,
un système de représentation fictif dans un système politico-médiatique qui ne
représente plus personne, à part les élites qui se sont autoproclamées comme
telles.
(1) Tout
comme c’était dans les années 70 qu’il fallait être un social-démocrate à
l’allemande, dans les années 90 que le souverainisme de Seguin et de Villiers
nous aurait protégé des idéologies européanistes et droits-de-l’hommiste, en
limitant l’immigration, en défendant la méritocratie scolaire, en tenant bon
sur le modèle français d’assimilation, et dans les années 2000 qu’il fallait
assainir les finances publiques et baisser les impôts.
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