jeudi 24 novembre 2016

Narcissique et pervers: de quoi Cyril Hanouna est-il le nom ?


Ce blog consacré aux relations des choses du privé et du public, et à la confusion toujours plus grande entre les deux genres, ne pouvait pas ne pas s’intéresser à ce qui se passe à la télévision, dusse-t-il en coûter à l’auteur, votre serviteur, qui ne se sert pas de cet instrument -la vie est courte et il est tant d’activités plus passionnantes- mais qui à l’occasion s’enquiert de ce qui s’y passe, et tente pour les besoins d’une chronique d’en recueillir la substantifique moelle au moyen de sa tablette.
Mon attention a été retenue par l’étrange relation nouée entre Cyril Hanouna et Matthieu Delormeau dans l’émission Touche pas à mon poste diffusée sur la chaine D8 du groupe Canal+, propriété de Vincent Bolloré. L’un est le producteur-animateur du programme et l’autre l’un de ses nombreux chroniqueurs. L'un est un pervers narcissique qui multiplie les humiliations et les farces de mauvais goût à l’égard de son collaborateur, et l’autre, souffre-douleur du précédent, qui consent à ce rôle, histrion aussi narcissique que son patron, mais lui pour briller à tous prix quand bien même dans la servitude et sous le mépris de celui qui abuse de lui.
Le CSA s’en est mêlé, le 23 novembre 2016, en adressant une mise en garde et une mise en demeure à la chaîne, sur des bases fort curieuses. après qu’il a fallu des centaines de plaintes des téléspectateurs. Une sanction pourrait suivre. C’est le « respect de la personne humaine et notamment la protection du jeune public » qui inquiète le gendarme de l’audiovisuel. Serait-ce que les formes d’humiliations et de ce qu’il faut bien nommer le sadisme et les actes de cruauté commis par Cyril Hanouna, et plus généralement l'abandon aux instincts les plus bas et la médiocrité revendiquée de l'émission au motif de « s’amuser » ne choquent plus personne une fois arrivé à l’âge adulte ? Serait-ce que l'on se soit habitué à la théâtralisation de ses relations sadiques et perverses, devenues le lot de la télévision depuis qu’elle est envahie par les talk-shows et les reality-shows ?
Une merde, une pleureuse, un bouffon
Dès la première participation de Delormeau à TPMP, en septembre 2015, Hanouna a demandé à l’ensemble des chroniqueurs de donner leur avis, pour ou contre, sur son arrivée dans l'émission. Il en a fait sa tête de turc, de blagues salaces pour l’humilier (les nouilles dans le slip) en cruauté délibérée (son automobile promise à la démolition), et d’insultes gratuites et sans raisons (vous n'avez pas de couilles, et voir plus loin) en mises en scène morbides et de mauvais gout, en parallèle à des polémiques savamment orchestrées pour faire le buzz, donnant lieu à des déluges d’insultes via Twitter et les réseaux sociaux contre les « darkas et les « teubés » qui n’aiment pas l’émission. Au total sept rappels à l’ordre de la part du CSA.
C’est une étrange relation sadomasochiste qui s’est nouée entre l’ex-animateur de NRJ 12 jouant au play-boy ou à l'amoureux transis et son patron, surnommé Baba, qui prend le rôle du mari jaloux ou du « père sévère qui corrige ses enfants » pour reprendre les propos d’une chroniqueuse, et gratifie son subordonné de « mon chéri » et de « garçon sensible », lui-même se vantant plus souvent qu'à son tour de la taille généreuse de ses attributs virils et en se moquant de la "petite bite" supposée de son employeur. Cela vole très haut comme on le voit.
Les limites du tolérable à la grosse rigolade sont parfois dépassées, comme la séquence du 28 septembre 2016 mise en cause par le CSA quand Hanouna traite Delormeau de merde, de pleureuse et de bouffon en lui demandant de fermer sa gueule, le même Delormeau qui, la veille, avait été outé de son homosexualité au milieu des rires gras de l’équipe et des hurlements du public devant un Cyril Hanouna hilare et déchaîné et un Ged Elmaleh pris au dépourvu puis se prêtant volontiers à la curée, au point que certains internautes ont traité Delormeau de  « goy de service » de l’émission.
La séquence était fort instructive et elle serait à mettre au programme de sociologie à l’université (avec la fameuse expérience de Milgram) sur les formes modernes de sadisme ordinaire, sur une certaine banalité du mal, ou sur le mécanisme de construction du bouc émissaire dans un groupe en fusion soumis à l’insécurité et à la pression (chronique de Bruno Donnet sur France Inter à ce sujet).
La deuxième séquence mise en cause par le CSA a vu Jean-Michel Maire embrasser le sein d’une participante sans son consentement. La troisième séquence, la pire de toutes, et pour cela soumise à l’enquête d’un enquêteur indépendant, est un canular où Hanouna met en scène une bagarre se finissant par la mort par homicide d'un des protagonistes, accident dont il demande à Delormeau de porter le chapeau auprès de la police.
Hanouna a cru bon de répondre, dans son émission même, à l’interpellation du CSA, en prétextant la rigolade et l’amusement, en se faisant bruyamment applaudir par un public aux ordres, comme il le fait chaque fois pour répondre aux critiques.
Pervers narcissique contre narcisse histrionique
Passons sur l’extrême médiocrité de l’émission, sur la vilenie des participants, sur le rire gras et la bêtise satisfaite qui s’y étale, celle d’Hanouna en premier mais aussi celle des chroniqueurs, qu’ils soient journaliste, artiste cultureux en tournée de promotion, amuseur public ou starlette de la télé réalité, avec mentions spéciales pour les piliers de l’émission, Gilles Verdez (son pugilat avec Joey Starr), Jean-Michel Maire (auteur du baiser non consenti) et Valérie Benaïm.
On l’a dit plus haut la relation entre Delormeau et Hanouna est faite de narcissismea partagés mais les deux ne se valent pas eu égard à la relation d’employeur à employé, Delormeau risquant à tout moment d’être viré -le fort roulement de chroniqueurs à chaque rentrée est une private joke au sein de l’équipe- et Hanouna ne se fait pas faute de rappeler qu’il dispose de ses chroniqueurs comme bon lui semble -tu es ma reine, tu es ma star, dit-il à Delormeau.
Le premier est un manipulateur sadique, le second consent aux humiliations et aux insultes, tout en les désapprouvant, par le besoin qu’il a d’exister, de se montrer, de se distinguer. Delormeau est beau, avec quelque chose de solaire à l'âge de vingt ans mais il est aussi limité intellectuellement. Beau et con à la fois, chantait Jacques Brel. Le narcissisme est un avatar des sociétés modernes. Il découle du processus d’individualisation, de l’anomie et de la désincorporation sociale, de l’effondrement du Surmoi comme référentiel moral et code de conduites canalisant les bas instincts (comme chez Donald Trump). Les incroyables confidences de François Hollande sont celles d’un narcissisme outrecuidant se croyant invulnérable.
C’est du reste le propre de ce type d’émission que de permettre à chaque intervenant d’avoir son moment à soi, de briller un court instant, et c’est tout l’art de l’animateur que d’offrir à chacun son quart d'heure de gloire, art dans lequel excellait Laurent Ruquier avec sa bande aux personnalités aussi narcissiques les unes que les autres, de Claude Sarraute à Gérard Miller et Isabelle Mergot. Hanouna est bien l’héritier de Ruquier, en plus grossier, en plus manipulateur, en plus pervers.
Le petit brun méditerranéen contre le grand blond fdesouchien
Le duo Hanouna-Delormeau est très étonnant à un autre titre, par la dissemblance d’aspects des deux protagonistes -ils sont comme deux types physiques opposés- l’un grand, musclé, le visage régulier, un blond aux yeux bleus, sans contexte un joli garçon, et l’autre petit, brun, pas bien foutu et le visage objectivement laid. Ces dissemblances renvoient de manière subliminale et impensé à leurs différences d’origines familiales et géographiques respectives.
D’un côté, Hanouna, d'origine juive tunisienne, fils d'un médecin généraliste et d'une commerçante de prêt-à-porter, incarne le sépharade fort en gueule, malin et entreprenant, sans gêne et sans complexes, prodigue de son bagout et de sa bonne humeur, tel qu’on l’imagine dans son entreprise de confection ou de la net économie du Sentier, de ceux que la série des films La Vérité si je mens, où lui-même a joué, a popularisé.
L’autre, Matthieu Delormeau, avec son nom si gaulois, issu d’un milieu bourgeois, le fils d’un grand avocat, est une petite chose délicate et maniérée, bien que le corps fort musclé et bodybuildé (ceci expliquant cela, faire de la gonflette, comme on disait jadis, traduisant fragilité psychologique ou manque de confiance en soi), un homosexuel à moitié déclaré qui joue de ses ambiguïtés, un garçon travailleur et consciencieux mais un peu naïf, et puis susceptible et soupe au lait, et limité intellectuellement quoique ayant quelques prétentions à traiter des sujets sérieux. Un petit blondinet, le babtou fragile ou le bolosse, la victime préférée des cours de récrée, le Gaulois ou le fromblanc, toutes ces expressions péjoratives et dégradantes venues des habitants des quartiers « difficiles ».
L’émission plait aux habitants de ces quartiers qui ont pour caractéristique commune de n’être pas de type "caucasien", de n’avoir pas les yeux bleus et de détester la France fragile et propre sur elle incarnée par Matthieu Delormeau, qui dans ce rôle, n’est jamais qu’un Harry Bellegueule acceptant sa condition de paria. Hanouna s’en prend souvent aux garçons qualifiés de fragiles, par euphémisme, les Ruquier, Morandini et Fogiel, et aux blonds, comme dans ce sketch ou coiffé d’une perruque, blonde évidemment, il se fout de la tête de Laurent Delahousse.
De quoi Hanouna est-il le nom ?
Hanouna est le signe de la revanche des petits bruns basanés des rives sud de la Méditerranée sur les grands blonds à la peau claire nord-européens, des cancres sur les bons élèves, des laiderons sur les beaux garçons, du migrant sépharade juif et pied-noir, ou arabo-musulman, sur le Gaulois.
Le titre même de l’émission, venu de SOS racisme -Touche pas à mon pote- vaut tout un programme : Hanouna a récupéré l’idéologie à prétention antiraciste pour se payer tout ce qui incarne la France et les Français, son histoire et leurs racines, l’élégance et le bel esprit, l’intelligence et les bonnes manières. Il incarne la société postnationale, multiculturelle et communautarisée, il montre la guerre du futur de tous contre tous entre individus et entre communautés.
Delormeau est la tête de turc de tous les perdants basanés, décidés à prendre leur revanche sur les grands blonds qui ont dominé l’Histoire des siècles passés. Pas de pitié pour eux, ils ont ce qu’ils méritent. Comme le racisme et les agressions religieuses, il y a celles que l’on relève et les autres -le racisme anti-blanc et les agressions anti-chrétiennes- qui ne comptent pas.
Le gentil Delormeau ne mérite ni pitié ni compassion. Ce pauvre garçon agaçant et un peu bête l’aurait même un peu cherché -les commentateurs de la presse de caniveau aussi bien que les internautes ne se privent pas de le mentionner. D’autant que les pédés votent à présent à droite et qu'entrés en force au Front National ils ne valent pas la peine que l’on pourrait se donner. 
L'impunité de ceux qui passent à la télé
Blonds et blondes sont devenus l’objet de la vindicte ou du mépris. D’où l’étrange impunité dont bénéficie Hanouna, et la curée contre Delormeau, et le malaise que l’on ressent. Les Voici, Closer, Gala, People et Cie se sont faits l’écho des avanies et cruautés subies par Delormeau sur le mode voyeur et gourmand mais la presse sérieuse ne s’en est mêlé qu’après un article des Inrocks.
On aurait aimé entendre le cœur des pleureuses qui se sont époumonées contre Denis Baupin et Jean-Marc Morandini à propos de faits non encore jugés, et donc non établis juridiquement, quand le sadisme et la cruauté d’Hanouna diffusées en direct à la télé les laissent de marbre.
Dans la société du spectacle tout est permis à celui qui fait de l’audience. Et TPMP fait beaucoup d’audience, jusqu’à deux millions de téléspectateurs, l’émission assurant un tiers des recettes publicitaires de la chaîne. Que des téléspectateurs aimassent ce type de programme montre à quel point le niveau monte, pour reprendre l'expression qui avait court à propos de l’école il y a une vingtaine d’années. Rien de surprenant puisque les industries de divertissement participent du mouvement d’abêtissement des foules, et au nivellement par le bas qu’occasionnent la mondialisation des cultures et des modes de vie et les migrations de populations non acculturées à nos valeurs et nos traditions, ce que l’école abandonnée aux pédagogues et aux idéologues du multiculturalisme serait bien en mal d’inverser.
Hanouna est un mélange de Bedos pour la méchanceté, d’Arthur pour le cynisme et le sens des affaires, de Djamel Debouze et Élie Seymoun pour le physique et l’autodérision. Le rire, l'agressivité et l’extrême vulgarité n’appartiennent qu’à lui et pour ma part j’ai du mal à déceler de l’humour dans ce qu’il fait.
Hanouna est doublement intouchable, par l’autocensure pratiquée dans les médias pour ne pas alimenter l’antisémitisme, et parce qu'il porte à sa façon la culture arabo-musulmane des quartiers et le vivre-ensemble supposé entre communautés différentes. Il est une sorte de Mathieu Kassovitz sans les qualités humaines ni les talents, ou de Jack Lang sans la culture et l'entregentLa polémique entre Hanouna et Michel Onfray fut révélatrice, le philosophe l’accusant d’alimenter le djihadisme et Hanouna de lui rétorquer qu’il ne voulait rien à voir avec "un islamophobe notoire », la presse faisant semblant de ne pas comprendre les propos du philosophe [1], et prenant fait et cause pour l’animateur.

Dans la novlangue le vivre-ensemble renvoie à la coexistence (rien moins qu'harmonieuse) entre juifs et arabes dans les pays musulmans avant la colonisation européenne. Voir à ce propos le très intéressant article de Georges Bensoussan dans la revue Le Débat d'octobre-décembre 2014 sur le mythe d'un âge d'or judéo-arabe et la vision irénique d'une convivialité entre juifs et arabes dont le vivre ensemble n'est finalement qu'un avatar. Ce mythe ancien, on le trouve déjà dans Nathan le Sage (1783) de l’Allemand Gotthold Lessing. 
Public - privé
Ce qui relevait naguère de la sphère privée -les sentiments, les émotions, la sexualité, les liens familiaux, les croyances- envahissent toujours plus l’espace public : la télévision ou les réseaux sociaux, la rue ou la plage, ou ces lieux de vie à vocation collective que sont l’entreprise, la salle de sport, la cantine, le restaurant, là où il n’y a pas si longtemps la discrétion, la retenue et la pudeur étaient de rigueur.
Notons au passage -j’y reviendrai dans une chronique ultérieure- que la laïcité à la française consistait en un principe de neutralité au sein de l’État et dans les services publics mais aussi dans les espaces publics en général, une neutralité par respect des autres, eu égard à leurs propres intimité et croyances, parce que la croyance religieuse était devenue, au terme de plusieurs siècles d’évolution et à l’instar des sentiments, et avant le retour d'un islam à prétention politique et holistique, une chose éminemment privée.
On étale, on dévoile et on expose, pour se confier et faire partager aux autres, sans égards pour eux, la peine, le désespoir, la colère, l’amour et les passions qui nous animent. Ce qui aurait été impensable à la génération de nos grands-parents qui ne se confiaient pas, qui ne se plaignaient guère et emportaient dans la tombe les tas de petits secrets pas bien jolis que l’on accumule au cours d’une vie. L’exhibition de soi fait les beaux jours de la télévision depuis une vingtaine d’années, de talk show en reality show, de Mireille Dumas à Jean-Luc Delarue et de Karine Lemarchand à Cyril Hanouna. Face à cette éruption des choses intimes et privées dans l’espace public nous sommes assignés à la posture de l’exhibitionniste ou du voyeur.




[1] « Aujourd'hui, et ce depuis la gauche, on nous présente des modèles tragiques qui font rêver les jeunes : Bernard Tapie, la Rolex, la Ferrari, Cyril Hanouna, un joueur de foot qui donne des coups de boule etc., alors qu'il y a soixante ans ou plus, un jeune rêvait d'être médecin, avocat ou professeur d'université, Jean-Paul Sartre ou Maurice Chevalier", s'emporte Michel Onfray avant d'asséner: "Vouloir ressembler à Serge Reggiani ou à Yves Montand, c'est tout de même moins déshonorant que vouloir ressembler à Cyril Hanouna ! Il est donc logique que la kalachnikov devienne le rêve ultime".

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