Ce
blog consacré aux relations des choses du privé et du public, et à la confusion
toujours plus grande entre les deux genres, ne pouvait pas ne pas s’intéresser
à ce qui se passe à la télévision, dusse-t-il en coûter à l’auteur, votre
serviteur, qui ne se sert pas de cet instrument -la vie est courte et il
est tant d’activités plus passionnantes- mais qui à l’occasion s’enquiert de ce
qui s’y passe, et tente pour les besoins d’une chronique d’en recueillir la substantifique moelle au moyen de sa tablette.
Mon
attention a été retenue par l’étrange relation nouée entre Cyril Hanouna et
Matthieu Delormeau dans l’émission Touche
pas à mon poste diffusée sur la chaine D8 du groupe Canal+, propriété de
Vincent Bolloré. L’un est le producteur-animateur du programme et l’autre l’un
de ses nombreux chroniqueurs. L'un est un pervers narcissique qui multiplie les humiliations et les farces de mauvais goût
à l’égard de son collaborateur, et l’autre, souffre-douleur du précédent, qui consent à ce rôle, histrion aussi narcissique que son patron, mais lui pour briller à
tous prix quand bien même dans la servitude et sous le mépris de celui qui abuse de lui.
Le CSA s’en est mêlé, le 23 novembre 2016, en adressant une mise en garde et
une mise en demeure à la chaîne, sur des bases fort curieuses. après qu’il a fallu des centaines de plaintes des téléspectateurs. Une sanction
pourrait suivre. C’est le « respect de la personne humaine et notamment la
protection du jeune public » qui inqui ète le gendarme de l’audiovisuel.
Serait-ce que les formes d’humiliations et de ce qu’il faut bien nommer le
sadisme et les actes de cruauté commis par Cyril Hanouna, et plus généralement l'abandon aux instincts les plus bas et la médiocrité
revendiquée de l'émission au motif de « s’amuser » ne choquent plus personne une fois arrivé à
l’âge adulte ? Serait-ce que l'on se soit habitué à la théâtralisation de ses relations sadiques et perverses, devenues le lot de la télévision depuis qu’elle est envahie par les
talk-shows et les reality-shows ?
Une merde, une pleureuse, un bouffon
Dès
la première participation de Delormeau à TPMP, en septembre 2015, Hanouna a demandé à l’ensemble des chroniqueurs de donner leur avis, pour ou contre, sur son arrivée dans l'émission. Il en a fait sa tête de turc, de blagues salaces pour l’humilier (les
nouilles dans le slip) en cruauté délibérée (son automobile promise à la
démolition), et d’insultes gratuites et sans raisons (vous n'avez pas de couilles, et voir plus loin) en mises
en scène morbides et de mauvais gout, en parallèle à des polémiques savamment
orchestrées pour faire le buzz, donnant lieu à des déluges d’insultes via
Twitter et les réseaux sociaux contre les « darkas et les
« teubés » qui n’aiment pas l’émission. Au total sept rappels à
l’ordre de la part du CSA.
C’est
une étrange relation sadomasochiste qui s’est nouée entre l’ex-animateur de NRJ 12 jouant au play-boy ou à l'amoureux transis et son patron, surnommé Baba, qui prend
le rôle du mari jaloux ou du « père sévère qui corrige ses
enfants » pour reprendre les propos d’une chroniqueuse, et gratifie son
subordonné de « mon chéri » et de « garçon sensible », lui-même se vantant plus souvent qu'à son tour de la taille généreuse de ses attributs virils et en se moquant de la "petite bite" supposée de son employeur. Cela vole très haut comme on le voit.
Les limites du tolérable à la grosse rigolade sont parfois dépassées, comme la séquence du 28 septembre 2016
mise en cause par le CSA quand Hanouna traite Delormeau de merde, de pleureuse et de bouffon en lui demandant de fermer sa gueule, le même Delormeau qui, la
veille, avait été outé de son homosexualité au milieu des rires gras de l’équipe
et des hurlements du public devant un Cyril Hanouna hilare et déchaîné et un
Ged Elmaleh pris au dépourvu puis se prêtant volontiers à la curée, au point
que certains internautes ont traité Delormeau de « goy de service » de l’émission.
La séquence était fort instructive et elle serait à mettre au programme de sociologie à l’université (avec la fameuse
expérience de Milgram) sur les formes modernes de sadisme ordinaire, sur une certaine banalité du
mal, ou sur le mécanisme de construction du bouc émissaire dans un groupe en
fusion soumis à l’insécurité et à la pression (chronique de Bruno Donnet sur France Inter à ce sujet).
La
deuxième séquence mise en cause par le CSA a vu Jean-Michel Maire embrasser le
sein d’une participante sans son consentement. La troisième séquence, la pire
de toutes, et pour cela soumise à l’enquête d’un enquêteur
indépendant, est un canular où Hanouna met en scène une bagarre se finissant par la mort par homicide d'un des protagonistes, accident dont il demande à Delormeau de porter le chapeau auprès de la police.
Hanouna
a cru bon de répondre, dans son émission même, à l’interpellation du CSA, en prétextant
la rigolade et l’amusement, en se faisant bruyamment applaudir par un public aux ordres, comme il le fait chaque fois pour répondre aux critiques.
Pervers narcissique contre narcisse
histrionique
Passons
sur l’extrême médiocrité de l’émission, sur la vilenie des participants, sur le
rire gras et la bêtise satisfaite qui s’y étale, celle d’Hanouna en premier
mais aussi celle des chroniqueurs, qu’ils soient journaliste, artiste cultureux
en tournée de promotion, amuseur public ou starlette de la télé réalité, avec mentions
spéciales pour les piliers de l’émission, Gilles Verdez (son pugilat avec Joey
Starr), Jean-Michel Maire (auteur du baiser non consenti) et Valérie Benaïm.
On
l’a dit plus haut la relation entre Delormeau et
Hanouna est faite de narcissismea partagés mais les deux ne se
valent pas eu égard à la relation d’employeur à employé, Delormeau risquant à tout moment d’être viré -le fort roulement de chroniqueurs à
chaque rentrée est une private joke au sein de l’équipe- et Hanouna ne se
fait pas faute de rappeler qu’il dispose de ses chroniqueurs
comme bon lui semble -tu es ma reine, tu es ma star, dit-il à Delormeau.
Le premier est un manipulateur sadique, le second consent aux humiliations et aux insultes, tout en les
désapprouvant, par le besoin qu’il a d’exister, de se montrer, de se distinguer. Delormeau est beau, avec quelque chose de solaire à l'âge de vingt ans mais il est aussi limité intellectuellement. Beau et con à la fois, chantait Jacques Brel. Le narcissisme est un avatar des sociétés
modernes. Il découle du processus d’individualisation, de l’anomie et de la désincorporation sociale, de l’effondrement du Surmoi comme référentiel moral et code de conduites canalisant les bas instincts (comme chez Donald
Trump). Les
incroyables confidences de François Hollande sont celles d’un narcissisme outrecuidant se croyant invulnérable.
C’est
du reste le propre de ce type d’émission que de permettre à chaque intervenant
d’avoir son moment à soi, de briller un court instant, et c’est tout l’art de
l’animateur que d’offrir à chacun son quart d'heure de gloire, art dans lequel
excellait Laurent Ruquier avec sa bande aux personnalités aussi narcissiques les
unes que les autres, de Claude Sarraute à Gérard Miller et Isabelle
Mergot. Hanouna est bien l’héritier de Ruquier, en plus grossier, en plus manipulateur,
en plus pervers.
Le petit brun méditerranéen contre le grand blond fdesouchien
Le
duo Hanouna-Delormeau est très étonnant à un autre titre, par la dissemblance d’aspects
des deux protagonistes -ils sont comme deux types physiques opposés- l’un
grand, musclé, le visage régulier, un blond aux yeux bleus, sans contexte un
joli garçon, et l’autre petit, brun, pas bien foutu et le visage objectivement
laid. Ces dissemblances renvoient de manière subliminale et impensé à leurs
différences d’origines familiales et géographiques respectives.
D’un
côté, Hanouna, d'origine juive tunisienne, fils d'un médecin généraliste et d'une commerçante de prêt-à-porter, incarne le sépharade fort en gueule, malin
et entreprenant, sans gêne et sans complexes, prodigue de son bagout et de sa bonne
humeur, tel qu’on l’imagine dans son entreprise de confection ou de la
net économie du Sentier, de ceux que la série des films La Vérité si je mens, où lui-même a joué, a popularisé.
L’autre, Matthieu Delormeau, avec son nom si gaulois, issu d’un milieu bourgeois, le fils d’un grand
avocat, est une petite chose délicate et maniérée, bien que le corps fort musclé et bodybuildé (ceci expliquant cela, faire de la gonflette, comme on disait jadis, traduisant fragilité psychologique ou manque de confiance en soi), un homosexuel à moitié déclaré qui
joue de ses ambiguïtés, un garçon travailleur et consciencieux mais un peu naïf,
et puis susceptible et soupe au lait, et limité intellectuellement quoique ayant quelques prétentions à traiter des sujets sérieux. Un petit blondinet, le babtou fragile ou le bolosse, la victime préférée des cours de récrée, le Gaulois ou le
fromblanc, toutes ces expressions péjoratives et dégradantes venues des
habitants des quartiers « difficiles ».
L’émission
plait aux habitants de ces quartiers qui ont pour caractéristique commune de n’être
pas de type "caucasien", de n’avoir pas les yeux bleus et de détester la France fragile
et propre sur elle incarnée par Matthieu Delormeau, qui dans ce rôle, n’est
jamais qu’un Harry Bellegueule acceptant sa condition
de paria. Hanouna s’en prend souvent aux garçons qualifiés de fragiles,
par euphémisme, les Ruquier, Morandini et Fogiel, et aux blonds, comme dans ce
sketch ou coiffé d’une perruque, blonde évidemment, il se fout de la tête de Laurent Delahousse.
De quoi Hanouna est-il le nom ?
Hanouna est le signe de la revanche des petits bruns
basanés des rives sud de la Méditerranée sur les grands blonds à la peau claire nord-européens, des cancres sur les bons élèves, des laiderons sur les beaux garçons, du migrant sépharade juif et pied-noir, ou arabo-musulman, sur le Gaulois.
Le
titre même de l’émission, venu de SOS racisme -Touche pas à mon pote- vaut tout un
programme : Hanouna a récupéré l’idéologie à prétention antiraciste pour se payer tout ce qui incarne la France et les Français, son
histoire et leurs racines, l’élégance et le bel esprit, l’intelligence et les
bonnes manières. Il incarne la société postnationale, multiculturelle et communautarisée, il montre la guerre du futur de tous contre tous entre individus et entre
communautés.
Delormeau
est la tête de turc de tous les perdants basanés, décidés à prendre leur
revanche sur les grands blonds qui ont dominé l’Histoire des siècles passés.
Pas de pitié pour eux, ils ont ce qu’ils méritent. Comme le racisme et les
agressions religieuses, il y a celles que l’on relève et les autres -le racisme
anti-blanc et les agressions anti-chrétiennes- qui ne comptent pas.
Le gentil Delormeau ne mérite ni pitié ni compassion. Ce pauvre garçon
agaçant et un peu bête l’aurait même un peu cherché -les commentateurs de la presse
de caniveau aussi bien que les internautes ne se privent pas de le mentionner. D’autant
que les pédés votent à présent à droite et qu'entrés en force au Front
National ils ne valent pas la peine que l’on pourrait se donner.
L'impunité de ceux qui passent à la télé
Blonds et blondes sont devenus l’objet de la vindicte ou du mépris. D’où l’étrange impunité dont bénéficie Hanouna, et
la curée contre Delormeau, et le malaise que l’on ressent.
Les Voici, Closer, Gala, People et Cie se sont faits l’écho des avanies et
cruautés subies par Delormeau sur le mode voyeur et gourmand mais la presse
sérieuse ne s’en est mêlé qu’après un article des Inrocks.
On
aurait aimé entendre le cœur des pleureuses qui se sont époumonées contre Denis
Baupin et Jean-Marc Morandini à propos de faits non encore jugés, et donc non
établis juridiquement, quand le sadisme et la cruauté d’Hanouna diffusées en direct à la
télé les laissent de marbre.
Dans
la société du spectacle tout est permis à celui qui fait de l’audience. Et
TPMP fait beaucoup d’audience, jusqu’à deux millions de téléspectateurs, l’émission
assurant un tiers des recettes publicitaires de la chaîne. Que des
téléspectateurs aimassent ce type de programme montre à quel point le niveau monte, pour reprendre l'expression qui avait court à propos de l’école il y a une vingtaine d’années. Rien
de surprenant puisque les industries de divertissement participent du mouvement
d’abêtissement des foules, et au nivellement par le bas qu’occasionnent la
mondialisation des cultures et des modes de vie et les migrations de
populations non acculturées à nos valeurs et nos traditions, ce que l’école
abandonnée aux pédagogues et aux idéologues du multiculturalisme serait bien en
mal d’inverser.
Hanouna
est un mélange de Bedos pour la méchanceté, d’Arthur pour le cynisme et le
sens des affaires, de Djamel Debouze et Élie Seymoun pour le physique et l’autodérision. Le rire, l'agressivité et l’extrême
vulgarité n’appartiennent qu’à lui et pour ma part j’ai du mal à déceler de l’humour
dans ce qu’il fait.
Hanouna
est doublement intouchable, par l’autocensure pratiquée
dans les médias pour ne pas alimenter l’antisémitisme, et parce qu'il porte à sa façon la
culture arabo-musulmane des quartiers et le vivre-ensemble supposé entre communautés différentes. Il est une sorte de Mathieu Kassovitz sans les qualités
humaines ni les talents, ou de Jack Lang sans la culture et l'entregent. La polémique entre Hanouna et Michel Onfray fut révélatrice, le philosophe l’accusant d’alimenter le djihadisme et Hanouna de lui rétorquer qu’il ne voulait rien à voir avec "un islamophobe notoire », la presse faisant semblant de ne pas comprendre les propos du philosophe [1], et prenant fait et cause pour l’animateur.
Dans la novlangue le vivre-ensemble renvoie à la coexistence (rien moins qu'harmonieuse) entre juifs et arabes dans les pays musulmans avant la colonisation européenne. Voir à ce propos le très intéressant article de Georges Bensoussan dans la revue Le Débat d'octobre-décembre 2014 sur le mythe d'un âge d'or judéo-arabe et la vision irénique d'une convivialité entre juifs et arabes dont le vivre ensemble n'est finalement qu'un avatar. Ce mythe ancien, on le trouve déjà dans Nathan le Sage (1783) de l’Allemand Gotthold Lessing.
Dans la novlangue le vivre-ensemble renvoie à la coexistence (rien moins qu'harmonieuse) entre juifs et arabes dans les pays musulmans avant la colonisation européenne. Voir à ce propos le très intéressant article de Georges Bensoussan dans la revue Le Débat d'octobre-décembre 2014 sur le mythe d'un âge d'or judéo-arabe et la vision irénique d'une convivialité entre juifs et arabes dont le vivre ensemble n'est finalement qu'un avatar. Ce mythe ancien, on le trouve déjà dans Nathan le Sage (1783) de l’Allemand Gotthold Lessing.
Public - privé
Ce
qui relevait naguère de la sphère privée -les sentiments, les émotions, la
sexualité, les liens familiaux, les croyances- envahissent toujours plus
l’espace public : la télévision ou les réseaux sociaux, la rue ou la plage,
ou ces lieux de vie à vocation collective que sont l’entreprise, la salle de
sport, la cantine, le restaurant, là où il n’y a pas si longtemps la
discrétion, la retenue et la pudeur étaient de rigueur.
Notons
au passage -j’y reviendrai dans une chronique ultérieure- que la laïcité à la
française consistait en un principe de neutralité au sein de l’État
et dans les services publics mais aussi dans les espaces publics en
général, une neutralité par respect des autres, eu égard à leurs propres
intimité et croyances, parce que la croyance religieuse était devenue, au terme
de plusieurs siècles d’évolution et à l’instar des sentiments, et avant le retour d'un islam à prétention politique et holistique, une chose
éminemment privée.
On
étale, on dévoile et on expose, pour se confier et faire partager aux autres, sans
égards pour eux, la peine, le désespoir, la colère, l’amour et les passions qui
nous animent. Ce qui aurait été impensable à la génération de nos
grands-parents qui ne se confiaient pas, qui ne se plaignaient guère et
emportaient dans la tombe les tas de petits secrets pas bien jolis que l’on
accumule au cours d’une vie. L’exhibition de soi fait les beaux
jours de la télévision depuis une vingtaine d’années, de talk show en reality
show, de Mireille Dumas à Jean-Luc Delarue et de Karine Lemarchand à Cyril Hanouna. Face à cette
éruption des choses intimes et privées dans l’espace public nous sommes assignés à la posture de l’exhibitionniste ou du voyeur.
[1]
« Aujourd'hui, et ce depuis la gauche, on
nous présente des modèles tragiques qui font rêver les jeunes : Bernard Tapie,
la Rolex, la Ferrari, Cyril Hanouna, un joueur de foot qui donne des coups de
boule etc., alors qu'il y a soixante ans ou plus, un jeune rêvait d'être
médecin, avocat ou professeur d'université, Jean-Paul Sartre ou Maurice
Chevalier", s'emporte Michel Onfray avant d'asséner: "Vouloir
ressembler à Serge Reggiani ou à Yves Montand, c'est tout de même moins
déshonorant que vouloir ressembler à Cyril Hanouna ! Il est donc logique que la
kalachnikov devienne le rêve ultime".